70 % des personnes diabétiques disent avoir été discriminées

Une recherche menée auprès de plus de 3 000 diabétiques en Suisse démontre la réalité d’une stigmatisation vécue au quotidien. Avec des conséquences comme le stress psychologique, la perte de l’estime de soi et la dépression.

Une étude très intéressante, une des rares à exister sur le plan suisse concernant les discriminations et la stigmatisation subies par les personnes diabétiques, a été présentée le 19 juin dernier au Royal à Tavannes, à l’occasion d’une conférence organisée par l’Association des diabétiques du Jura bernois (ADJB) en collaboration avec l’Association jurassienne des diabétiques (AJD) et diabète Biel-Bienne. Ces dernières remercient chaleureusement le LIONS Club Jurassien et l’entreprise Henri Frei et Fils de Court pour leurs généreux soutiens financiers.

Une quarantaine de personnes s’étaient déplacées pour écouter les auteurs de cette recherche lors d’une conférence intitulée « Expériences de discrimination et de stigmatisation vécues par des personnes souffrant de de diabète et résidant en Suisse  ». L’étude (1) a été dirigée par le Prof. Dr Daniel Gredig et la Dr Annabelle Bartelsen-Raemy de la Haute école spécialisée nord-ouest Suisse, Ecole de travail social, à Olten.

Des lecteurs du d-journal
La recherche établie sur la base 3 347 réponses obtenues, en 2013, auprès des abonnés alémaniques et romands du d-journal démontre, sans l’ombre d’un doute, que « la stigmatisation due au diabète est une réalité ». Ce qui n’allait pas de soi auparavant vu la rareté des études menées en Suisse dans ce domaine.

« Les discriminations génèrent un sentiment de peur, de gêne ou d’angoisse »

Afin de mieux saisir les conclusions de ce travail, il est intéressant de considérer brièvement l’échantillonnage des personnes ayant répondu au questionnaire. Il y avait 2 487 Alémaniques et 860 Romands ; 1 352 type 1 et 1 841 type 2 ; 1 479 femmes et 1 791 hommes ; 14,9 % étaient âgés de 16 à 45 ans, 64,2 % de 45 à 75 ans, 18,1 % de 75 à 85 ans (pour la moitié d’entre eux le diabète avait été diagnostiqué avant 45 ans) ; 95,3% étaient Suisses.

A relever, une autre donnée statistique : 42 % des personnes interrogées suivaient un traitement à l’insuline, 27 % un traitement combinant insuline, médicaments antidiabétiques et autres mesures, 20 % un traitement purement médical et 11 % d’autres traitements.Un autre aspect important a été mis en exergue par l’étude : près du tiers des personnes interrogées (31,5 %) affirment ne s’être encore jamais senties traitées de manière inégale, quelle que soit la situation envisagée ; en revanche, 68,5 % de l’échantillon disent avoir déjà subi une inégalité de traitement injustifiée, avoir été exclue ou discriminée. Parmi ces dernières, 21,4 % mentionnent une expérience de ce type, 12,3 % deux et les autres, soit l’écrasante majorité, plusieurs expériences traumatisantes.
Il ressort donc de l’étude que les situations discriminantes et stigmatisantes concernent une forte majorité de diabétiques et qu’ils sont également nombreux à en avoir fait l’expérience de façon répétée.

Dévisagés en public
Parmi les comportements vexatoires et les préjugés les plus répandus, les personnes interrogées citent en tête (1 726 réponses) le fait qu’elles sont dévisagées lorsqu’elles s’injectent de l’insuline en public ; suivent le jugement selon lequel elles seraient toutes « vieilles et obèses » (1 526 réponses), victimes d’ « une chose terrible » (1 370), seulement capables de performances réduites (1 289), seules responsables de leur maladie (1 260), « pauvres malades » (1 227), méritant la pitié (1 216) ou encore représentant un facteur de risques (1 208).

La liste des préjugés ne s’arrête pas là, mais j’ai choisi, arbitrairement, de ne retenir que ceux cités par plus de 1 200 personnes. La liste est pourtant encore longue et fait émerger des termes très durs et stigmatisants comme personnes réputées « paresseuses », voire « profiteuses ».

Autant d’éléments qui affectent, parfois lourdement, la qualité de vie des personnes diabétiques qui, confrontées à ce climat négatif, peuvent subir un stress psychologique intense, source d’état dépressif, de perte de l’estime de soi et de rupture du lien social avec, in fine, des conséquences directes sur leur état de santé.

Casser une image négative
Il n’est donc pas étonnant que les auteurs de l’étude plaident avec force pour que des moyens soient mis en œuvre au niveau suisse pour corriger l’image publique des diabétiques.
Une initiative de ce type serait d’autant plus nécessaire que, peu ou prou, toutes les situations de discrimination citées par les personnes interrogées relèvent des préjugés communément admis qu’ils s’expriment au travail, au cours des repas ou lors d’une activité sportive, mais aussi – et c’est d’autant plus inquiétant – au sein d’institutions très officielles comme l’armée, les services des impôts ou… les assurances maladie !

Les problèmes les plus fréquents
Parmi les principaux problèmes très concrets (au total, 33 situations décrites) évoqués par les personnes interrogées il y a très nombreux cas de figure dans les contextes les plus variés où dominent toutefois les contacts sociaux, le milieu professionnel, l’école, l’armée, les assurances, la mobilité ou encore le sport. Les catégories les plus citées (par 15 % et plus des personnes interrogées) sont évoquées dans le tableau ci-dessus.

Citons encore la crainte et les réserves de la part des collègues de travail (14,3 %) ou l’obligation de fournir des certificats médicaux pour obtenir le permis de conduire (13,3 %).
Face à de telles situations qui toutes alimentent la stigmatisation ressentie par les personnes diabétiques, ces dernières réagissent généralement en se repliant sur elles-mêmes car toutes suscitent un sentiment de peur, de gêne ou d’angoisse, génèrent un comportement d’autoaccusation qui effrite l’estime de soi et produisent dépressions, stress psychologique et isolement.
L’étude se fonde sur des données récoltées en 2013. La situation a-t-elle depuis quelque peu évolué, notamment sur le plan institutionnel ? Cela pourrait faire l’objet d’un futur article.

1) « Expériences de discrimination et de stigmatisation vécues par des personnes souffrant du diabète et résidant en Suisse » Fachhochschule Nordwestschweiz Hochschule für Soziale Arbeit, Institut Soziale Arbeit und Gesundheit, Olten, Juillet 2014

Auteur: Pierre Meyer (avec la collaboration de l’ADJB)