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Une franchise à 0 franc réduirait les coûts de la santé

Depuis quelques mois, les chiffres valsent : augmentation de la franchise de base à 350 francs + indexation future (Conseil fédéral), voire à 10.000 francs (l’assureur CSS) comme montant maximal. Des mesures contre-productives, car potentiellement dommageable pour la santé des malades chroniques et sources de coûts accrus pour le système de santé !

Dans une contribution publiée dans le quotidien Le Temps (17 avril 2018), André Chuffart, consultant, spécialiste international en assurances maladie, écrit ceci : « (…) des études et observations récentes démontrent que des assurés au bénéfice d’une franchise élevée s’abstiennent de suivre des traitements pourtant essentiels, ce qui entraîne la progression de leur maladie, et en particulier l’apparition de complications très coûteuses. Voilà pourquoi aux USA, dans l’Affordable Care Act de 2010, certains traitements préventifs primaires (la maladie ne s’est pas encore déclarée) sont obligatoirement assurés hors franchise et sans aucune participation financière de l’assuré ».

« Certains traitements préventifs pourraient être entièrement pris en charge par l’assurance, comme les diabétiques de type 2 »

En mai 2014, the Center for Value-Based Insurance Design de l’Université de Michigan, dans un article intitulé Health Savings Account – High Deductible Health Plans : « Updating the Definition of Prevention, recommandait que certains traitements préventifs secondaires (la maladie est déclarée mais l’on veut éviter des complications) soient entièrement pris en charge par l’assurance. Par exemple, les diabétiques de type 2 devraient entre autres pouvoir faire annuellement, hors franchise et participation aux frais, un examen des yeux et des pieds ainsi qu’un dépistage des maladies rénales chroniques ».

La gratuité permet de limiter la récidive
A l’appui de ses dires, l’auteur évoque une étude américaine portant sur des malades ayant subi une crise cardiaque : « Une expérience réalisée par Niteesh Choudhry, professeur de médecine à Harvard, est révélatrice. L’expérience* portait sur près de 6’000 patients ayant subi une crise cardiaque, auxquels avaient été prescrits des médicaments bien connus pour réduire la survenance d’une nouvelle crise cardiaque. La moitié des personnes observées recevaient leur médicament gratuitement. L’autre moitié devait s’acquitter de la participation aux frais et de la franchise habituelles en assurance. Comme l’on pouvait s’y attendre, l’adhérence au traitement des personnes qui ne déboursaient rien était supérieure à celle de ceux qui devaient participer de leur poche, et leur état de santé s’est amélioré. »

« Augmenter la franchise minimale sans prendre en charge la totalité des frais d’un certain nombre d’actes de prévention (…) est bien un acte “tout simplement” irresponsable »

Plus précisément, leur probabilité d’avoir un AVC, un autre accident vasculaire ou un infarctus du myocarde était réduite de respectivement 31 %, 11 % et 16 %. Le Prof. Choudhry concluait par ces mots : « Une intervention qui réduit la charge financière des patients sans changer les dépenses globales … suggère que la prise en charge de la totalité des frais exposés au titre de la prévention secondaire après un infarctus du myocarde est une mesure rentable (cost-effective). »
André Chuffart conclut son texte par ces mots : « Augmenter la franchise minimale sans prendre en charge la totalité des frais d’un certain nombre d’actes de prévention à définir avec le corps médical est bien un acte “tout simplement” irresponsable ».

La motion Nantermod
Si l’on en croit ce qui précède, le Conseil fédéral, bon nombre de politiciens fédéraux et les assureurs maladie feraient donc fausse route, aggravant les coûts de la santé au lieu de les réduire, tout en péjorant la santé des malades chroniques assurés.

Un véritable auto-goal qui, toutefois, n’a pas totalement échappé à quelques conseillers nationaux, dont le libéral valaisan Philippe Nantermod. Ce dernier, avec cinq collègues**, a en effet présenté ce printemps une motion encourageant le Conseil fédéral (…) à proposer « une modification de l’assurance obligatoire des soins qui prévoit la suppression de la participation aux coûts (franchise et quote-part, red.) pour le traitement des maladies chroniques dès lors que la preuve est apportée que les personnes concernées se conforment au traitement qui leur est prescrit. Le système de franchise restera valable pour les prestations qui n’ont pas directement à voir avec la maladie chronique. Un modèle similaire existe déjà : les prestations de grossesse, accouchement et maternité ne comptent pas pour la franchise et la quote-part ».

« Refusée par le Conseil fédéral, la motion Nantermod demandait la suppression de la participation aux coûts pour le traitement des maladies chroniques »

Le texte de la motion qui figure sur le site officiel du Parlement fédéral conclut en ces termes : « Exclure de manière conditionnelle les maladies chroniques de la participation aux coûts remplit ainsi deux objectifs positifs. D’une part, des économies substantielles pourront être réalisées en améliorant le suivi des traitements prescrits contre les maladies chroniques. D’autre part, les malades chroniques ne seront plus discriminés et auront à leur tour un avantage financier à choisir une franchise à option. Cette franchise est alors valable pour toute prestation médicale n’ayant pas directement à voir avec la maladie chronique. Aucune modification du système de primes et franchises actuellement en vigueur ne serait nécessaire ».

Le refus de Berne
Le Conseil fédéral a tôt fait de réagir, le 9 mai dernier. Et sa réponse est négative. Il en profite pour réaffirmer sa doctrine en la matière : « La franchise, en tant qu’élément de la participation aux coûts, fait appel à la responsabilité individuelle des assurés en leur faisant prendre conscience des coûts afin de les amener à recourir aux prestations de manière raisonnable ; elle contribue ainsi à maîtriser le nombre de consultations médicales pour les cas bénins. Elle fonde en outre le financement de l’assurance-maladie partiellement sur le principe de causalité: l’assuré qui génère des coûts doit en prendre en charge lui-même une partie. En raison de l’égalité de traitement (art. 5 let. f de la loi fédérale sur la surveillance de l’assurance-maladie sociale, LSAMal ; RS 832.12), tous les assurés doivent en principe assumer une participation aux coûts ».

Pour André Chuffart, le Conseil fédéral ne prend en considération qu’un aspect de la question en ne faisant état que de l’aléa moral, soit le fait que « le subventionnement d’une prestation médicale donnée peut induire chez l’assuré un comportement contraire à l’intérêt commun, tel qu’une surconsommation d’une prestation de santé de peu de valeur (…) ».

Des arguments tronqués
En revanche, Berne passe totalement sous silence le fait que l’assuré peut aussi agir de façon diamétralement opposée : il s’agit de l’aléa comportemental, soit, selon André Chuffart, « la sous-utilisation par un assuré de traitements de grande valeur pour sa santé ». Ainsi, ajoute-il, « en demandant à l’assuré de participer aux frais médicaux exposés, l’on peut induire une sous-utilisation d’un traitement médical pourtant reconnu comme efficace », comme le montre l’expérience du Prof. Choudhry présentée plus haut dans le texte.

« L’aléa comportemental peut aboutir à ce que l’assuré sous-utilise des traitements de grand valeur pour sa santé »

Dans sa réponse à la motion Nantermod, le Conseil fédéral ajoutait, faisant référence à des problèmes pratiques, ce qui suit : « Selon le droit en vigueur, le Conseil fédéral a déjà la possibilité de réduire ou supprimer la participation aux coûts des traitements de longue durée et du traitement des maladies graves (art. 64 al. 6 let. b LAMal). Il y a cependant renoncé en raison notamment des nombreux problèmes d’application dus entre autres à l’absence de définition légale des traitements de longue durée et des maladies graves. Cette difficulté existe également pour les maladies chroniques. A quelle fréquence une affection doit-elle se répéter pour être considérée comme chronique ? (…) »

Coupable frilosité
Le Conseil fédéral achève son raisonnement comme suit : « Le Conseil fédéral est d’avis qu’en raison des difficultés inhérentes à la définition du caractère chronique d’une affection et des problèmes d’application qui en découlent, il n’est pas judicieux d’introduire une exception à l’obligation d’assumer une participation aux coûts pour les maladies chroniques ».

Là aussi, le Conseil fédéral fait l‘économie d’une réflexion que d’autres pays ont résolu par l’établissement de listes*** de maladies chroniques, comme en France, dès 1945. Les listes hexagonales sont visibles sur internet ; leur dernière mise à jour date de janvier 2011(décret n° 2011-77). La première liste, consacrée aux « Affections de longue durée », comprend 30 éléments. Par affections de longue durée, on entend des affections comportant un traitement prolongé et une thérapeutique coûteuse. La 2e liste, dite « Affections hors liste », concerne des maladies graves de forme évolutive ou invalidante (comme l’asthme, la dégénérescence maculaire, etc.). La 3e liste : certaines polypathologies.

Parmi les 30 affections de la première liste, quatre groupes correspondent, selon Wikipédia****, à 80 % des affections de longue durée, soit les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète sucré et les affections psychiatriques.

« Certains pays, comme la France, ont établi des listes de maladies chroniques, dont les frais sont intégralement remboursés »

Ces listes donnent lieu à un remboursement intégral des frais des maladies qui y figurent, après établissement d’un protocole thérapeutique.

Les personnes diabétiques apprécieront donc, à leur juste valeur, les circonvolutions fédérales. Car, à la question posée par le gouvernement – à savoir « A quelle fréquence une affection doit-elle se répéter pour être considérée comme chronique ? –, la réponse des diabétiques est aussi limpide que lourde à porter : « tous les jours qu’il me reste à vivre », Mesdames et Messieurs les conseillers fédéraux !

* Full Coverage for Preventive Medications after Myocardial Infarction, N Engl J Med 2011 ;365 :2088-97
** Les cinq cosignataires sont: Cattaneo Rocco, Derder Fathi, Feller Olivier, Moret Isabelle, Sauter Regine.
*** https://sante-medecine.journaldesfemmes.fr/faq/477-liste-des-affections-de-longue-duree-ald
**** https://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_de_longue_dur%C3%A9e

Auteur: Pierre Meyer