Le Nutri-Score débarque en Suisse

Adopté officiellement en France en octobre 2017, et reposant sur le volontariat des entreprises, le système d’étiquetage des produits alimentaires Nutri-Score va faire son apparition en Suisse l’année prochaine. Inscrit sur la face avant de l’emballage, le logo aux 5 couleurs a pour but d’informer le consommateur sur la valeur nutritionnelle de l’aliment transformé qu’il souhaite acquérir.

Cette introduction ne doit rien aux autorités sanitaires suisses qui restent silencieuses à ce sujet, à la différence de la Belgique et de l’Espagne qui l’ont aussi introduit. Elle repose sur l’initiative de la société Danone qui a décidé d’étendre à la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche et la Slovénie l’utilisation du Nutri-Score à ses produits laitiers frais à partir de 2019.

Egalement française, la société Fleury-Michon propose en Suisse, selon la Fédération romande des consommateurs (FRC), des produits frappés du logo aux 5 couleurs (ou 5C) ; 100 % de sa gamme devrait comporter le logo Nutri-Score à la fin 2018.

Danone veut aider le consommateur
«Notre objectif est d’encourager un comportement alimentaire plus équilibré et d’aider les consommateurs à faire de meilleurs choix dans les questions alimentaires au quotidien, affirme le porte-parole de Danone Suisse, dont le siège est à Zurich. Le Nutri-Score et son échelle de couleurs a été choisi car il permet au consommateur de saisir rapidement et en détail la qualité nutritionnelle du produit. D’autre part, il évalue les produits par 100 grammes et non par portion, ce qui permet de les comparer».

« Un sondage publié dans le magazine de la FRC montre une adhésion des consommateurs à ce type d’étiquetage »

La signalétique par 100 g. est également plébiscitée par les consommateurs suisses, si l’on en croit un sondage effectué en Suisse par l’Alliance des organisations de défense des consommateurs (FRC, SKS en Suisse alémanique et ACSI au Tessin). Parus fin octobre dans le magazine de la FRC Mieux choisir, les résultats de ce sondage démontrent clairement une adhésion des consommateurs suisses (sur un panel de 1 787 personnes interrogées) à ces systèmes d’étiquetage, qu’il s’agisse du Nutri-Score français ou du Traffic Lights britannique, avec un net avantage au système français en Suisse romande (57 % contre 41).

En revanche, le système proposé par cinq grands fabricants mondiaux, dont Nestlé, fait un bide avec 0,5 % d’adhésion, notamment parce qu’il n’évalue pas les produits par 100 grammes, mais par portion. Or, comme chaque fabricant a sa propre définition de la portion, toute comparaison entre produits concurrents est impossible !

Forte de l’adhésion des consommateurs, la FRC considère que les autorités suisses doivent désormais entrer en lice et valident un seul système officiel pour ne pas laisser des signalétiques contradictoires semer la confusion.

Nestlé jette l’éponge
Le choix helvétique, si Berne s’empare de cette problématique, sera en outre facilité par le fait que les multinationales alimentaires (Coca-Cola, Mondelez, Nestlé, PepsiCo et Unilever – Mars s’était déjà retiré au printemps 2018) ont décidé, en novembre dernier, d’abandonner leur propre système d’étiquetage nutritionnel baptisé Evolved Nutrition Label (ENL, aussi appelé Nutri-Couleurs), en raison du manque de soutien à leur proposition. A l’inverse, le Nutri-Score connaît un beau succès puisque 85 entreprises françaises du commerce et de l’industrie ont choisi de l’adopter, à peine plus d’un an après son lancement.

Au-delà des querelles de clocher de l’industrie alimentaire, le système Nutri-Score revêt de nombreux avantages, mais aussi des inconvénients de taille.

Les avantages du Nutri-Score
Parmi les avantages, citons les éléments suivants  :

   1) Placé sur la face avant du produit, le logo aux 5 couleurs permet une lecture très rapide de ses qualités nutritionnelles. Avec ses couleurs (vert foncé, vert clair, jaune, orange et rouge), munies des lettres A, B, C, D, E, il reprend un codage désormais bien connu utilisé, par exemple, pour évaluer la consommation énergétique des appareils ménagers. Le message est clair, intuitif et facilement compréhensible.

  2) Le système Nutri-Score est plus complet que ses concurrents puisqu’il prend non seulement en considération les « mauvais » nutriments comme les graisses, les acides gras saturés, les calories, les sucres et le sel, mais aussi les « bons » comme les fibres, les protéines, les fruits & légumes, les légumineuses et les fruits à coque.

« Placé sur la face avant du produit, le logo aux 5 couleurs permet une lecture très rapide de ses qualités nutritionnelles »

   3) Grâce à son logo aux symboles évidents, le Nutri-Score facilite le choix du consommateur, notamment auprès de ceux qui ne comprennent rien aux mentions figurant au dos de l’emballage ou qui, tout simplement, ne parviennent pas à les déchiffrer. C’est-à-dire la majorité d’entre nous.

   4) Le Nutri-Score aura également pour effet de pousser l’industrie alimentaire à diminuer les quantités de sucres, de sel ou de gras dans ses préparations. En effet, s’il se généralise, il renforcera la concurrence entre producteurs, plus uniquement sur les prix, mais aussi sur la qualité nutritive des aliments proposés. A cet égard, Danone dit s’engager « à réduire la teneur en sucre des produits existants. Au printemps 2018, nous avons ainsi amélioré nos produits Activia fruits en réduisant la teneur en sucre jusqu’à 17 % ». Ceci dit, Nestlé, qui s’est toujours opposé au Nutri-Score, revendique aussi un travail de reformulation entrepris pour réduire les taux de sucre, de gras et de sel dans ses produits. « Il s’est ainsi engagé à éliminer 5 % de sucre dans ses gammes vendues en Europe d’ici 2020 », indique un article du quotidien « Le Monde » consacré à ce sujet. La société Fleury-Michon s’est, quant à elle, fixé pour but que deux-tiers de ses produits affichent un A ou B d’ici à cinq ans.

   5) Autre atout de l’étiquetage Nutri-Score : il a été élaboré par des scientifiques indépendants, dirigés par le prof. Serge Hercberg, directeur de recherche en épidémiologie nutritionnelle à l’Université Paris 13. Cela signifie que la norme n’a pas été formulée par les industriels eux-mêmes, ce qui renforce sa crédibilité.

Qu’est-ce que le Nutri-Score ?

Le Nutri-Score se présente sous la forme d’un logo à 5 couleurs apposé sur la face avant des emballages. Grâce à une lettre et à une couleur, il informe les consommateurs sur la qualité nutritionnelle d’un produit.

Chaque produit est ainsi positionné sur une échelle à 5 niveaux allant du produit le plus favorable sur le plan nutritionnel (classé A) au produit le moins favorable sur le plan nutritionnel (classé E). La catégorie à laquelle appartient l’aliment est mise en exergue sur le logo par une lettre plus grande.

Pour classer chaque produit, des équipes de recherches internationales ont mis au point un score qui prend en compte, pour 100 grammes de produit, la teneur :

• en nutriments et aliments à favoriser : fibres, protéines, fruits et légumes
• en nutriments à limiter : énergie, acides gras saturés, sucres, sel

Après calcul, le score obtenu par un produit permet de lui attribuer une lettre et une couleur.

À quelques exceptions près (herbes aromatiques, thés, cafés, levures, etc.), tous les produits transformés et les boissons sont concernés par le Nutri-Score. Les produits non transformés comme les fruits et légumes frais ou le poisson frais ne sont pas concernés, de même que les boissons alcoolisées.

Le Nutri-Score peut vous aider lorsque vous faites vos courses à choisir entre plusieurs produits d’un même rayon ou à comparer la qualité nutritionnelle pour un même produit de différentes marques.

Source : Programme national nutrition santé       

PM

 

Les limites du logo aux 5 couleurs
Le logo aux 5 couleurs n’a cependant pas que des qualités, car sa simplicité est non seulement réductrice, mais également porteuse de faux espoirs face au rouleau compresseur que représentent les géants de l’industrie alimentaire :

   1) Pour les personnes diabétiques, le Nutri-Score n’est guère utile puisqu’il ne donne, en lui-même (à la différence du Traffic Lights), aucune indication sur le taux de glucides contenus dans le produit. Il n’indique en effet que son équilibre global, favorable ou non. Les personnes diabétiques devront ainsi toujours se référer à la quantité de glucides figurant au dos de l’emballage.

« Les personnes diabétiques devront toujours se référer à la quantité de glucides figurant au dos de l’emballage »

   2) De nombreux nutritionnistes s’interrogent sur l’impact du Nutri-Score sur la santé, jugeant l’approche proposée pour le moins limitée. En particulier sur un point : l’équilibre nutritionnel ne peut être fondé sur un seul produit, mais sur un repas complet. L’achat d’un produit ayant un bon Nutri-Score peut ainsi donner l’impression au consommateur qu’il a fait le nécessaire pour sa santé, alors que tout ce qui l’accompagne va aussi peser dans la balance. A l’inverse, consommer un produit avec un mauvais Nutri-Score ne sera pas automatiquement dommageable en soi, s’il est accompagné de bons nutriments.

   3) Le Nutri-Score ne dit rien sur les additifs alimentaires utilisés massivement par l’alimentation industrielle. Or, certains additifs sont de plus en plus clairement associés à des troubles, notamment métaboliques (obésité, diabète, etc.). Le logo 5C n’offre aucune garantie à cet égard.

La classification NOVA

Étudier le caractère transformé de l’alimentation est une approche récente mise en avant par l’équipe de recherche brésilienne de Carlos Monteiro qui a développé la classification NOVA. Cette classification reconnue par la FAO et la Pan American Health Organization se compose de 4 groupes définis par les processus de transformation alimentaire :
   • Aliments frais ou peu transformés : des aliments frais ou modifiés par des procédés comme le retrait des parties
non comestibles, le séchage, le concassage, le broyage, la pasteurisation, la réfrigération, la congélation, l’emballage sous vide (des procédés qui permettent de prolonger la durée de vie). Aucun de ces produits ne comporte de substances ajoutées. Il s’agit, par exemple, des fruits, des légumes et des légumineuses frais, séchés ou congelés, de la viande coupée et emballée, du lait pasteurisé, du yogourt nature, des œufs, du riz, du maïs, des pâtes…

• Ingrédients culinaires transformés : les substances extraites du groupe 1 par pressage, meulage ou raffinage ou broyage. Ils comprennent les condiments, les amidons, le beurre et les huiles végétales.

  • Aliments transformés   : ce sont des produits simples fabriqués avec des aliments du groupe 1 avec ajout de substances du groupe 2 (sel, huile, sucre…). Ce groupe comprend les aliments en conserve, les aliments fumés, les fromages, les pains. Le but d’obtenir des aliments transformés est d’augmenter la durée de vie des aliments du groupe 1 ou de modifier leurs qualités organoleptiques.

  • Aliments hautement transformés : des produits avec des formulations industrielles qui comportent plus de 4 ou 5 ingrédients. Ces aliments peuvent comporter des additifs alimentaires, des protéines hydrolysées, des amidons modifiés et/ou des huiles hydrogénées. Un aliment hautement transformé est un produit qui est hyper palatable (se dit d’un aliment qui procure une sensation agréable lors de sa consommation, red.), souvent peu coûteux, facile à consommer. Ces produits sont généralement énergétiquement denses, riches en sucres ajoutés, en sel et matières grasses.

Une étude en Nouvelle-Zélande a montré que 83 % des produits en supermarché étaient des produits ultra-transformés.

Source : site internet « quoi dans mon assiette » https://quoidansmonassiette.fr/aliments

PM

 

   4) Nutri-Score ne dit rien non plus de l’état de transformation de l’aliment mis en vente. « Le Nutri-Score se base sur des critères de qualité nutritionnelle d’un autre temps comme la teneur élevée en calories, explique le chercheur en nutrition préventive Anthony Fardet*. Les fromages sont ainsi mal notés alors que, certes ils contiennent des graisses saturées, mais ils sont peu transformés. Il n’y a donc pas de raisons qu’ils soient mal notés ». Pour le chercheur, le problème est ailleurs : « il faut voir l’aliment dans son ensemble (pas comme une seule somme de nutriments). Si les aliments restent ultra-transformés, il n’y aura pas de bénéfice pour la population ». Il plaide ainsi pour l’adoption d’un autre système de classification internationale, le système NOVA, mis au point par des épidémiologistes brésiliens qui classe les aliments selon leur degré de transformation en 4 groupes technologiques (voir l’encadré). Rappelons que les aliments ultra-transformés contiennent des quantités importantes de sucre et de sel ajoutés.

   5) Des doutes ont également été émis en France par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), un organisme public, dans une étude parue en février 2017, sur la pertinence des systèmes d’information nutritionnelle (SIN) au regard des enjeux de santé publique. L’agence conclut que la pertinence nutritionnelle des SIN n’est pas démontrée, notamment sur « leur capacité à réduire l’incidence de pathologies (comme l’obésité ou le diabète, red.) dans l’ensemble de la population par l’intermédiaire de ses effets sur les choix alimentaires ».

« La capacité des systèmes d’information nutritionnelle à améliorer les choix des consommateurs apparaît incertaine »

L’étude, très fouillée, parvient aux conclusions suivantes : « la mécanique de construction des SIN, tant dans la mobilisation des variables que dans leur combinaison, apparaît peu pertinente au plan nutritionnel » ; « leur capacité à améliorer les choix des consommateurs apparaît donc incertaine ». Pour l’ANSES, les SIN ne sont donc à prendre que comme « une mesure d’accompagnement », au côté des efforts d’éducation et d’information à poursuivre et intensifier.

Le Nutri-Score : gadget ou pas gadget ? Les consommateurs sont véritablement demandeurs d’un système d’étiquetage alimentaire aussi simple qu’intuitif. Le logo aux 5C répond manifestement à ce souhait ; il est, de ce point de vue, promis à un beau succès. Difficile pour autant d’en attendre des merveilles en termes de santé publique, car il ne devrait n’avoir qu’un effet marginal sur les pathologies liées à la malbouffe. En effet, se nourrir, bien ou mal, reste une affaire trop complexe et multifactorielle qu’un logo, certes avenant, puisse résoudre seul.

*Interview parue dans la revue équilibre de la Fédération française des diabétiques (sept-oct. 2018)

L’EPFL s’intéresse de très près à notre assiette

Mise à disposition publique d’une base de données sur les produits alimentaires et création d’applications pratiques : depuis trois ans, l’EPFL et le laboratoire d’épidémiologie digitale du Prof. Marcel Salathé ont pris à bras le corps les questions liées à la nutrition en relation avec l’accroissement des maladies métaboliques (obésité et diabète, notamment).

Tout a commencé en 2015 avec le patient recensement de milliers de produits dans les grandes surfaces en Suisse. Aujourd’hui, la base de données en libre accès FoodRepo (https://www.foodrepo.org) contient pas moins de 37 000 produits vendus en Suisse, dont le contenu nutritionnel a été scanné grâce au code-barre figurant sur chaque emballage.

« Nous ne cessons d’étendre cette base de données, avec la collaboration active de consommateurs (15 000 contributeurs à ce jour) qui nous signalent les produits encore non enregistrés en nous envoyant une photo de leur emballage et du code-barre, commente Stéphanie Milliquet, cheffe de projet FoodRepo. La base de données est ainsi enrichie et actualisée en permanence. Les informations qu’elle contient sont facilement accessibles à tout un chacun grâce à une interface de programmation d’application (Application Programming Interface – API). C’est entre autres grâce à ce support que le magazine des consommateurs Bon à Savoir a pu développer son application gratuite NutriScan ». Désormais, la campagne de récolte s’étend à l’Allemagne, l’Italie et la France.

Favoriser les bons choix alimentaires
Très utiles au consommateur lambda, toutes ces informations peuvent également déboucher sur des applications plus spécifiques : « c’est ainsi que, pour montrer ce qui est réalisable d’après cette base de données, nous avons développé une application de démonstration, poursuit Stéphanie Milliquet. Elle permet de transformer le grammage du sucre indiqués sur les emballages en nombre de morceaux de sucre afin d’avoir une meilleure appréciation de la quantité proposée, sachant, par exemple, que huit grammes de sucre sont égal à trois morceaux (à télécharger dans l’App Store ou son équivalent Androïde sous le nom de FoodRepo) ».
Et de préciser : « Le but de la base de données est, notamment, de favoriser le développement d’un écosystème d’outils utiles pour faire de bons choix en matière d’alimentation (p.ex pour les intolérants, les allergiques, les diabétiques, les vegan, etc…). La limite se situe là où s’arrête l’imagination des développeurs ».

PM

Auteur: Pierre Meyer