Une vie de liberté et de prière

Une Communautéde femmes venues du monde entier.

Originaire de la vallée de Tavannes, Françoise Mathez (74 ans) est diabétique de type 2 depuis 2011. Cette religieuse protestante, connue sous le nom de Soeur Françoise, a rejoint en 1975 la Communauté de Grandchamp, une collectivité monastique qui rassemble des soeurs de différentes Eglises et de divers pays. Cette communauté oecuménique, lancée à la fin des années 30, compte une cinquantaine de religieuses ; 35 d’entre elles vivent à Grandchamp, dans le canton de Neuchâtel, les autres étant réparties entre le Sonnenhof (Bâle-Campagne) et les Pays-Bas.

 

Le diabète a atteint Françoise Mathez à l’heure où d’autres prennent leur retraite. Un mot qui n’est pas synonyme de repos pour celle qui – sous le nom de Soeur Françoise – consacre sa vie à Dieu et aux autres.

Ce qui frappe chez Soeur Françoise, c’est une forte et tranquille détermination. Si sa santé est aujourd’hui fragile, elle n’a cessé, tout au long de sa vie de religieuse, de se consacrer à Dieu et aux autres avec une belle énergie qui l’a conduite, au-delà de sa vie monastique, à effectuer des séjours de plusieurs années en Algérie, au Liban et en Israël. C’est en 2011 que le diagnostic tombe et que Soeur Françoise apprend qu’elle est diabétique de type 2. « Une vraie surprise », déclare-t-elle, « mais aussi une forme de soulagement, puisque je comprenais enfin pourquoi j’étais si fatiguée. » Des souvenirs remontent alors à la surface : « Le diabète était en filigrane dans la famille, mais la question était taboue, même si mon père l’avait brièvement évoquée à la fin de sa vie. Or, certains membres de la famille avaient payé un très lourd tribut à la maladie puisqu’un oncle en était mort après avoir été amputé à plusieurs reprises et qu’une grand-mère avait connu un sort à peine moins tragique ! »

L’insuline : une libération !

Le diagnostic posé, ni une, ni deux, son médecin traitant lui prescrit de la Metformine. Un traitement que, au fil des ans, elle supporte de plus en plus mal. C’est alors que l’évidence s’impose : Soeur Françoise doit passer à l’insuline. Une nouvelle qui, généralement, inquiète, voire effraie. Chez Soeur Françoise, c’est exactement l’inverse : « L’insuline, cela a été pour moi une libération », souligne-t-elle, « même si je dois me piquer quatre fois par jour. Elle est nécessaire à mon bon équilibre. » Cette attitude positive ne tombe pas du ciel. Elle est liée, en premier lieu, à la qualité des soins et de l’écoute de sa diabétologue, dont le cabinet, à Bienne, accueille également des diététiciennes et des infirmières. « C’est extrêmement rassurant d’avoir des interlocuteurs qui prennent le temps de vous expliquer les implications de telles décisions ou de tels traitements, de vous accompagner dans la compréhension des régimes conseillés et du matériel à utiliser. Face à la technique, je comprends que certains puissent paniquer. » « Le choix de la diabétologue est très important », insiste-elle. « Savoir qu’il y a quelqu’un à qui je peux tout dire, à qui je peux poser des questions, c’est à la fois précieux et rassurant. Parce que même si la gestion du diabète est bien assumée et bien gérée, il est bon de se l’entendre confirmer ! »

Nouvelles technologies

En deuxième lieu, et c’est une chance, Soeur Françoise est à l’aise avec les nouvelles technologies. Pour s’en convaincre, il suffit de la voir manipuler avec dextérité son lecteur de glycémie Freestyle 2, l’application www. diabetes-m.com qu’elle a elle-même installée sur son téléphone portable ou encore sa tablette tactile. « J’ai trouvé en ligne cette application très performante pour noter l’ensemble de mes valeurs sur mon téléphone ; elle est synchronisée avec ma tablette. Parfois, il m’arrive de capter ma glycémie avec mon téléphone, comme cela j’ai les données en double. » Troisième facteur qui a achevé de la déculpabiliser à l’égard de son diabète : un article paru dans le … d-journal en avril 2018 ! Il s’agissait du portrait consacré à Kevin Brady, secrétaire du comité de Diabète Genève, où ce dernier affirmait haut et fort : « Je ne me sens pas responsable du dérèglement métabolique qui m’afflige. »

Le goût de la liberté

Forte et déterminée, disais-je, deux qualificatifs auxquels on pourrait ajouter audacieuse, libre et altruiste. Native de la vallée de Tavannes, Françoise Mathez est fille unique et vit une enfance et une adolescence qui ne l’enchante guère, car « la souffrance était au centre de notre famille », en raison notamment d’une mère gravement malade. Et de citer François Mauriac : « Toutes les rues de mon village sont bloquées par mes chagrins d’enfant. » Pourtant la révélation d’un autre monde lui apparaît à l’âge de 19 ans quand elle quitte pendant un an Reconvilier pour Bâle. Et là, c’est un feu d’artifice : « Avec deux amies qui m’ont adoptée, je découvre, subjuguée, le théâtre, le cinéma, la musique, la poésie et la littérature. » Tout ce dont elle avait été privée, sans le savoir. Elle s’y jette avec avidité, enivrée par tous ces possibles désormais à portée d’esprit. Une ouverture qu’elle n’oubliera jamais. Ensuite, ce sera Lausanne où elle entame et achève une formation auprès de ce qui deviendra la Haute école de travail social et de la santé (EESP). Elle en sort titulaire d’un diplôme d’éducatrice spécialisée.

L’engagement religieux

La révélation, la vraie, aura lieu peu après à Marseille où elle est accueillie par une famille de darbystes, un mouvement religieux connu pour sa rigueur doctrinale. Très croyante, la mère de famille n’hésite pourtant pas à s’affranchir des règles lorsqu’elle le juge bon. « Cette femme avait une liberté que je n’avais pas. » Une prise de conscience fulgurante qui scelle sa vocation. Sa voie est tracée. Par la suite, elle rejoint la Communauté de Grandchamp. C’était en 1975. Elle s’engage alors dans la vie monastique, faite de prières, de méditations, de lectures, mais aussi d’accueil des visiteurs et de travaux nécessités par l’entretien et la rénovation des divers bâtiments du hameau, jadis consacrés au tissage des indiennes de coton. Grandchamp s’est ouvert au dialogue interreligieux. Et Soeur Françoise y met toute son énergie, curieuse de découvrir ces religions, bouddhiste, juive ou musulmane, soufie, qu’on rencontre en Suisse aujourd’hui !

Algérie et Moyen-Orient

Sa motivation profonde est d’aller vers les autres, d’être à leur écoute, fussent-ils différents : « Sans doute parce que j’ai été fille unique. » Un penchant qu’elle mettra à profit lors de deux longs séjours : le premier en Algérie où, de 1978 à 1981, elle rejoint une « fraternité » de deux soeurs installée dans une banlieue-bidonville d’Alger. « La Communauté de Grandchamp a été présente en Algérie depuis le début de la guerre (au milieu des années 50) jusqu’en 2014. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Mais je tiens à préciser que l’accueil des populations démunies et nos relations avec elles ont toujours été excellents, dans un contexte souvent très dur, et parfois même kafkaïen. » Le second séjour (1994 – 1998) au Liban, dans une banlieue de Beyrouth où coexistent chrétiens et chiites. « Là, j’ai été appelée à diriger un centre d’aide par le travail pour personnes polyhandicapées. J’ai côtoyé, dans cette institution, aussi bien des chrétiens, des chiites que des sunnites, sans l’ombre d’un problème, car je n’avais aucun préjugé. » En Israël, où elle a passé en tout 13 mois, lors de divers séjours, pas d’engagement professionnel, mais la volonté d’assurer, en Terre sainte, comme dans toutes les fraternités, « une présence de prières et d’amitié ». Telle est Soeur Françoise, toujours tendue vers les autres, toujours curieuse d’autres pratiques religieuses où le silence et les repas en commun sont le sel du dialogue partagé. « Nous prions tous un Dieu unique, mais dont les facettes sont multiples. » Forte de cette conviction, elle vient de sortir un livre, fruit de ses réflexions.

Aux invités de la vie, Françoise Mathez, Editions Cabédita, 2020.

Auteur: Texte : Pierre Meyer / Photo : Soeur Siong