Le Diabetes Center Berne (DCB) étudie l’influence des changements hormonaux, en particulier dûs au cycle menstruel, sur la gestion du diabète. Martina Rothenbühler et Stefanie Hossmann expliquent comment, avec la communauté, elles collectent des données et acquièrent de nouvelles connaissances afin d’aider les personnes concernées.
Martina Rothenbühler (à gauche) et Stefanie Hossmann
Martina Rothenbühler et Stefanie Hossmann, quelles sont vos missions au DCB ?
Martina Rothenbühler : Je me concentre sur l’analyse des données et le développement de questions de recherche. J’y apporte mes connaissances en biostatistique, et j’étudie notamment l’influence des changements hormonaux sur le besoin en insuline.
Stefanie Hossmann : Je suis responsable de la coordination des études au DCB et du respect des directives réglementaires. Je m’appuie sur mon parcours de biologiste pour orienter ces études de manière ciblée sur les besoins spécifiques des participant·es.
Comment vous est venue l’idée de faire des recherches sur ce sujet ?
SH : Grâce à la communauté du diabète. Différentes personnes vivant avec le diabète nous ont fait savoir qu’elles constataient des variations glycémiques en lien avec leur cycle menstruel. Nous nous sommes donc intéressées de plus près à cette problématique. Mais nous n’avons trouvé que peu d’informations dans les revues scientifiques habituelles, si bien que nous avons décidé d’approfondir le sujet. Le cycle menstruel se divise en plusieurs phases au cours desquelles la production d’hormones est plus ou moins marquée. Il s’agit notamment de la phase folliculaire et, à la fin, de la phase lutéale. Entre les deux, il y a l’ovulation. Tout cela étant étroitement lié aux hormones, nous avons supposé qu’il y avait aussi une incidence sur le besoin en insuline.
MR : Auparavant, je travaillais chez Ava, une start-up féministe. Les projets de recherche qui y ont été menés ont permis de montrer que le cycle menstruel a des incidences multiples et variées, par exemple dans le domaine du sport ou de l’ostéoporose. Cela a éveillé mon intérêt, car il pourrait aussi y avoir une interaction avec la sensibilité à l’insuline.
Pourquoi ce sujet a-t-il été si peu étudié jusqu’à présent ?
MR : En partie à cause du gender health data gap, c’est-à-dire le manque de données de santé spécifiques aux femmes. Pendant longtemps, les femmes ont été exclues des études cliniques afin d’éviter les risques, par exemple en cas de grossesse. De plus, les changements hormonaux étaient considérés comme des facteurs perturbateurs potentiels, qui pouvaient compliquer les conclusions générales. Ces aspects ne sont pas encore suffisamment pris en compte dans la recherche.
SH : C’est vraiment étonnant. Et quasiment à chaque nouveau sujet de recherche que l’on aborde, nous constatons que cela ne va pas de soi.
Que pense la communauté du diabète de vos efforts pour étudier le lien entre diabète et cycle menstruel ?
MR : Les retours nous sont venus principalement de personnes qui considéraient déjà le sujet comme important ou qui y voyaient une problématique personnelle. Cependant, nous ne savons pas combien de femmes ne se sont pas senties concernées. Certaines étaient davantage enthousiasmées par notre recherche que par l’idée de participer concrètement à l’étude. Néanmoins, beaucoup ont trouvé que ce sujet était intéressant et important, même si participer à une étude représente un obstacle.
SH : On nous a aussi parfois fait savoir que ce thème était considéré comme un problème plutôt mineur, et qu’il y avait des questions plus importantes à aborder avant. Mais nous ne sommes pas de cet avis. C’est justement lorsque le niveau de gestion du diabète est déjà élevé qu’une petite optimisation, comme cinq pour cent de temps en plus dans la cible (Time in Range), peut apporter une amélioration sensible. Cela nous a également été confirmé par la communauté.
Quels sont vos autres objectifs de recherche dans ce domaine ?
MR : Pour nous, il s’agit d’intégrer davantage de données sur les femmes et les personnes non binaires dans la recherche médicale et de renforcer la sensibilisation sur ces thèmes. Nous nous concentrons non seulement sur l’aspect Time in Range, mais aussi sur la manière de concevoir des technologies dans ce contexte. Par exemple, on en sait déjà plus sur l’influence du genre sur le sport et l’alimentation chez les personnes diabétiques.
SH : Mais les phases de bouleversement hormonal comme la grossesse, l’allaitement ou le changement de sexe sont moins étudiées.
MR : Ou même la puberté. Toutes ces phases spécifiques au genre interagissent avec le diabète, mais elles sont encore largement inexplorées. Nous travaillons actuellement à la rédaction d’un éditorial qui mettra ces domaines précisément en lumière.
Pourquoi ce thème est-il particulièrement pertinent pour le Diabetes Center Berne ?
MR : Ce qui est particulier dans le thème du diabète et du cycle menstruel, c’est qu’il n’y a pas d’industrie spécifique derrière et donc peu d’intérêts commerciaux en jeu. Nos travaux de recherche portent sur l’ensemble des technologies liées au diabète et ne se limitent pas à un seul fabricant. Mais cela signifie aussi que les fonds de recherche sont souvent limités et que nous dépendons de financements tiers. En tant que fondation, nous disposons d’excellentes conditions pour mener ces travaux de recherche en collaboration avec des personnes atteintes de diabète.
Sur quels projets concrets travaillez-vous actuellement et quels sont les objectifs prioritaires ?
MR : Je trouve passionnant que, malgré les limites auxquelles certains groupes de personnes diabétiques sont confrontés, plusieurs de ces personnes ont su trouver leurs propres solutions pour faire face aux défis qu’elles rencontrent. Elles ont développé des stratégies qui fonctionnent pour elles, personnellement.
SH : Actuellement, nous travaillons en étroite collaboration avec la communauté, afin de comprendre exactement où se situent les problèmes et quels sont les besoins réels. Nous collectons des données sur l’ampleur de chaque obstacle rencontré et sur les stratégies que les personnes concernées ont développées pour les surmonter. Jusqu’à présent, nous avons analysé des données historiques. À l’avenir, nous souhaitons collecter des données de manière ciblée et prospective afin d’obtenir des réponses encore plus pertinentes à nos questions.