Nouvelle Technologie, patient parle avec son médecin via laptop

Objets connectés et réseaux sociaux bousculent la relation patient-médecin

Alors que le web fête ses trente ans, les nouvelles technologies exercent une influence toujours plus forte sur la relation thérapeutique. Un symposium, intitulé « Nouvelles technologies en médecine de famille », a procédé à un état des lieux en septembre dernier à Montreux. Suivez le guide.

Alors que le web fête ses trente ans, les nouvelles technologies exercent une influence toujours plus forte sur la relation thérapeutique. Un symposium, intitulé « Nouvelles technologies en médecine de famille », a procédé à un état des lieux en septembre dernier à Montreux. Suivez le guide.

Tout d’abord un constat : « deux tiers des médecins suisses n’utilisent que rarement ou jamais d’applications de santé digitale dans leur pratique médicale », indique l’éditorial consacré aux actes du symposium parus dans la Revue médicale suisse (datée du 5 décembre 2018). Ce chiffre est sans doute moins élevé chez les diabétologues ou chez les médecins s’occupant de personnes diabétiques, en raison notamment des appareils de plus en plus connectés que ces dernières utilisent dans la gestion quotidienne de leur maladie.

Un mouvement irréversible
Mais si, côté médical, la frénésie technologique n’a pas encore tout emporté, on doit aussi se tourner du côté des patients qui, s’ils ne sont certes pas tous « geek », sont de plus en plus nombreux à utiliser les nouveaux instruments technologiques, ne serait-ce qu’en consultant les sites dédiés sur internet ou en participant au babil des forums et des réseaux sociaux. Car une chose est désormais acquise : le patient passif dans la relation thérapeutique appartient au passé.

« Le patient passif dans la relation thérapeutique appartient au passé »

Dès lors, une question : « comment intégrer les nouvelles technologies dans la consultation en préservant la qualité et la relation singulière médecin-patient ? », s’interroge les éditorialistes de la Revue médicale suisse. Pour répondre à cette interrogation, les différents ateliers thématiques du symposium ont abordé, tour à tour, les diverses technologies utilisées aujourd’hui par les patients.

Internet, forums et réseaux sociaux
La référence à l’internet est devenue un incontournable de la consultation médicale. Rares sont les patients qui résistent à consulter les sites traitant de santé, ce qui met immanquablement le médecin sous pression, le malade attendant que ce dernier réagisse et réponde avec la célérité d’un clic. Si cela peut évidemment conduire à des malentendus, les professionnels de la santé voient plutôt dans le recours à internet, de la part du médecin comme du patient, l’occasion d’une relation nouvelle permettant aux interlocuteurs de « regarder ensemble » la page internet affichée sur l’écran, comme « un partenaire implicite de la consultation ».

Pour les auteurs de l’article consacré à l’internet, cet instrument peut ainsi devenir « une ressource importante pour le médecin dans l’objectif d’aider le patient à retrouver son bien-être ». Tout en apportant un complément à l’examen clinique, le recours à internet permet en effet au malade d’acquérir une certaine autonomie et de renforcer ses connaissances à travers des sites spécifiques. Les plus sérieux sont d’ailleurs validés avec le label le HONCode (Health On the Net Code).

Interaction avec les pairs
Les forums et réseaux sociaux ajoutent à la seule consultation de l’internet la possibilité pour le malade d’interagir au sein d’une communauté de pairs. Ils sont alors perçus comme « un moyen d’obtenir du soutien social via un partage d’expériences similaires et une entraide mutuelle entre individus souffrant de la même pathologie ». Avec un risque important, celui de s’enfermer dans une identité de malade.

« Les outils technologiques doivent rester complémentaires de la prise en charge médicale et de la relation, et non la remplacer »

Pour le médecin, le défi est d’importance. Car ce « tiers » formé par les forums et les réseaux sociaux dans la relation patient-médecin modifie considérablement la pratique et la posture du soignant. « Les outils technologiques doivent rester complémentaires de la prise en charge médicale et de la relation, et non la remplacer », avertissent les auteurs de l’article, même si les professionnels de la santé doivent s’attendre à ce que le contact virtuel devienne, à l’avenir, un moyen de communication privilégié.

La montre connectée
La montre connectée permet de disposer de certaines variables biologiques de celui/celle qui la porte, comme le rythme cardiaque.

Cet objet, qui compile les données, peut donner des informations utiles au médecin pour autant qu’elles puissent être considérées comme fiables, ce qui n’est pas forcément le cas, car « les valeurs fournies par l’appareil diffèrent dans certains cas de la définition médicale d’un paramètre médical ». Au-delà de ce doute légitime, la montre connectée a d’autres atouts, relèvent les auteurs de l’article, comme de servir de « médiateur » dans la discussion et de constituer « la porte d’entrée d’un dialogue qui peut aller au-delà des chiffres apportés ».

Levier motivationnel
Pour le médecin, les défis à relever dans sa pratique sont nombreux. Pour lui, il s’agit notamment d’apprendre à gérer les questionnements des patients ainsi que les incertitudes face aux données fournies et d’évaluer quand ouvrir à bon escient le dialogue et quand s’appuyer sur ce levier motivationnel. Des enjeux importants que les médecins sont prêts à affronter puisqu’une étude française montre que 81 % des médecins estiment que la santé connectée est une opportunité pour la qualité des soins et plus de 90 % une opportunité pour améliorer la prévention.

Les applications
Désormais, « les applications sont omniprésentes et utilisées massivement », constatent les auteurs de l’article qui leur est consacré. Elles ont un gros avantage : « elles permettent d’obtenir rapidement des informations. Médecins comme patients peuvent les utiliser pour se renseigner et pour stocker des données ». Mais, lorsque ces dernières trop nombreuses, un risque de submersion existe qui peut générer de l’angoisse chez le malade.

« Dans la relation patient-médecin, les applications ont tendance à accroître le rôle du patient et participent à son autonomisation »

L’atelier du symposium qui s’est consacré à cet aspect a vu beaucoup d’avantages à cette technologie, comme la gestion d’un problème de santé à distance, l’étayage d’un diagnostic grâce à l’utilisation des données, voire le monitorage de différentes données.

Partenaire de soins
Dans la relation patient-médecin, les applications, grâce aux informations qu’elles véhiculent, ont tendance à accroître le rôle du patient et participent à son autonomisation. Ce qui implique que le patient se transforme peu à peu en « partenaire de soins » à part entière. Un changement de paradigme bienvenu, même si l’utilisation des applications ne remplace ni la consultation, ni la relation humaine offerte par le médecin.

D’autres évolutions
Au chapitre des technologies, il convient de citer également la télémédecine et le dossier patient informatisé. La première nommée a pour principal avantage qu’elle permet de « faire voyager les informations plutôt que les malades ». Gain de temps et de confort y sont fortement associés, notamment de la part des patients de plus en plus familiarisés à l’utilisation du mail et de leur mobile. Une réticence, toutefois : celle affirmée par les médecins qui sont « beaucoup plus ouverts à utiliser les téléconsultations avec leurs propres patients qu’avec des inconnus ».

« Faire voyager les informations plutôt que les malades »

Les auteurs de l’article dédié au dossier patient informatisé y voient beaucoup d’atouts : il facilite la communication avec le patient, il permet des rappels programmés, il peut être un outil de détection des interactions médicamenteuses, il assure une sauvegarde de toute l’information relative à l’histoire de chaque patient ou encore offre un support efficace à la pratique médicale au quotidien.

Le risque du piratage
Le meilleur des mondes, sauf que le dossier informatisé recèle au moins deux risques de taille, soit la possibilité de se transformer en un outil de surveillance et de contrôle sur le patient ou encore d’être piraté par des acteurs tiers trop intéressés par vos données personnelles, ce qui est explosif en matière de santé.

« Se mesurer tout le temps »
Peut-être n’est-ce qu’une maladie de jeunesse, mais les nouvelles technologies déclenchent souvent chez leurs utilisateurs une vraie dépendance, à la limite de l’addiction. En matière de santé, deux profils d’utilisateurs semblent émerger : le « patient-ingénieur » et le « patient qui se mesure tout le temps » ; deux attitudes qui ne sont pas forcément exclusives.

« Le médecin n’a d’autres choix que d’entrer en matière, au risque d’être dépossédé de son rôle »

Le premier profil, relève les auteurs, est « à l’aise avec les données, les tableaux et les graphiques, entrepreneur de soi-même et de sa propre santé, ayant une surveillance rapprochée de son propre corps à travers différents types de mesures ». Un type de personnes qui peuvent se révéler redoutable pour les médecins car, forts de leur savoir ils mettent le corps médical à distance, persuadés qu’ils s’occupent bien de leur santé, avec le danger de leur faire courir de vrais risques. Patient redoutable, car il contraint le médecin à se tenir au courant de toutes les évolutions technologiques et à les maîtriser autant que possible.

Le second profil est, lui aussi, problématique, car la mesure permanente de ses paramètres de santé peut traduire une personnalité anxieuse, obsessionnel, celle d’un individu manifestant un fort besoin de garder le contrôle sur sa vie et pouvant souffrir d’une perte de l’estime de soi. Lui aussi représente un redoutable défi.

Nouvelle Technologie Médecin et patientLe médecin « catalyseur »
Face à ces deux profils, le médecin n’a d’autres choix que d’entrer en matière, au risque d’être dépossédé de son rôle. Mais il ne s’agit pas pour autant d’entrer en compétition technologique avec son patient, mais de replacer les informations récoltées dans la relation thérapeutique en leur donnant un sens qu’elles n’ont pas forcément en elles-mêmes. « Se dessine alors le rôle d’un médecin ‹catalyseur› qui aide à donner du sens en s’intéressant aux causes et en s’éloignant des données brutes mesurées », plaident les auteurs.

« Le moteur du changement, c’est le patient »

Portrait Dr. Baptiste Pedrazzini
Dr Baptiste Pedrazzini

Médecin interniste généraliste en pratique privée et médecin agréé au Département de médecine de famille à Lausanne où il enseigne, le Dr Baptiste Pedrazzini, 38 ans, a participé au symposium de Montreux comme animateur de l’atelier thématique « Place de l’objet connecté en médecine de famille ». Il s’attend, dans les dix ans, à un changement fondamental dans la pratique médicale en lien avec les « objets de santé connectés », alors qu’aujourd’hui les médecins de famille n’y sont encore que très rarement confrontés.

Que va signifier cette révolution ?

Elle signifie tout d’abord que c’est surtout sous la pression des patients que les médecins de famille vont devoir s’adapter. Aujourd’hui, ils sont encore rares, mais le phénomène peut prendre rapidement de l’ampleur si vous êtes amenés à traiter des personnes diabétiques ou souffrant d’hypertension. Les diabétiques de type 1 que je reçois sont le plus souvent des personnes jeunes et très intéressées par les nouveaux appareils qui facilitent leur traitement au quotidien ; c’est, donc, au médecin qu’il appartiendra de répondre à la demande de patients plus exigeants et mieux formés. Tous ne le feront pas, par choix ou en raison de leur l’âge ; pour ma part, je suis plutôt à l’aise avec l’informatique, ce qui fait que j’aborde ces questions avec une certaine aisance. Je m’attends, dans les cinq ans, à ce que 10 – 20 % de ma patientèle concernée recoure à des objets de santé connectés, car ces derniers produisent des valeurs d’un grand intérêt thérapeutique que ce soit dans le cas de l’hypertension ou du diabète.

Dans quelle mesure avez-vous été formé à affronter cette période de transition ?

Les études de médecine n’abordent pas cette problématique. Tout au plus, existent-ils quelques cours de formation continue. Or, je pense qu’il faudra mettre en place des formations post-graduées qui permettent aux médecins de famille de se tenir au courant de ce qui existe et des développements à venir.

Au cours de l’atelier, les médecins présents ont évoqué à la fois les atouts des nouvelles technologies – données permettant d’améliorer le suivi de maladies chroniques ou réception d’informations en temps réel – tout comme leurs inconvénients – risques pour la protection de la vie privée du patient, masse de données ingérables ou encore impacts indésirables sur la vie professionnelle et privée du corps médical. Qu’en pensez-vous ?

Je partage à la fois les attentes et les doutes de mes collègues. La protection des données est, à n’en pas douter, un défi monstrueux qui est loin d’être résolu. Les données concernant un malade sont, en effet, d’une extrême sensibilité vis-à-vis des tiers, qu’il soit assureur, employeur, étatique, voire familial. D’autre part, les impacts sur la pratique médicale seront également importants, à l’heure où les praticiens souhaitent une claire scission entre leur vie personnelle et professionnelle. Si les médecins de famille sont, a priori, prêts à se lancer dans les objets de santé connectés lorsqu’il s’agit d’une aide au suivi des traitements, ils sont beaucoup plus réticents à accepter de gérer seuls la fonction alerte de ces objets. Il conviendra, pour éviter notamment que l’on s’épuise, de mettre en place des centres de relais qui seront habilités à répondre à ces alertes, comme une centrale Secutel, tout cela dans le cadre d’une réforme de type manage care où le personnel infirmier aura toute sa place.
(Propos recueillis par Pierre Meyer)

Auteur: Pierre Meyer, rédacteur en chef