Quelle stratégie choisir en cas de diabète inaugural ?

Deux éminents diabétologues plaident pour l’un ou l’autre médicament. Une controverse non seulement médicale, mais aussi financière puisque un traitement à la Metformine est 100 à 200 fois moins cher que l’administration d’agonistes du GLP1. Médecine de pauvres versus médecine de riches.

L’intéressante controverse a eu pour théâtre le numéro d’août 2017 de la revue « Diabetes Care », sous la plume de Ralf de Fronzo et Silvio Inzucchi. Pour de Fronzo, il est temps de changer de paradigme. En effet, les recommandations actuelles de l’American Diabetes Association et de l’International Diabetes Federation stipulent que, lors de la découverte d’un diabète inaugural, la Metformine (Glucophage ou Metfin) doit être utilisée en première ligne, après un régime adéquat et de l’activité physique.

Ralf de Fronzo estime que l’approche avec la Metformine seule est insuffisante, car si elle corrige, au début du traitement, les glycémies, cet effet est transitoire et ne tient pas compte des mécanismes physiologiques qui sont à la source du diabète de type 2.

Anomalies métaboliques
Ces mécanismes sont complexes et comprennent une résistance à l’insuline, au niveau du muscle et du tissu adipeux, couplée à une diminution progressive de la sécrétion d’insuline. De plus, la résistance à l’insuline va s’accompagner d’une foule d’anomalies métaboliques associées au diabète, à savoir une hypertension artérielle, un état inflammatoire, des lésions de la paroi interne des artères et une obésité viscérale.

Par ailleurs, on sait que le diabète peut provoquer une diminution importante des incrétines, ces hormones secrétées par le tube digestif, en réponse à l’ingestion d’hydrates de carbone. Cette hyposécrétion serait la cause d’une augmentation de la sécrétion du glucagon, responsable d’une hyperglycémie postprandiale.

« Les antagonistes du GLP1 agissent à plusieurs niveaux, ce qui les rend plus physiologiques dans le traitement du diabète de type 2 »

Ralf de Fronzo s’étend sur les nombreux effets bénéfiques des antagonistes du GLP1 (je rappelle pour mémoire qu’ils sont connus en Suisse sous les noms de Victoza, Trulicity, et tout récemment de Lyxumia).

Actions multiples
Les antagonistes du GLP1 agissent à plusieurs niveaux, ce qui les rend plus physiologiques dans le traitement du diabète de type 2.

En effet, au niveau du pancréas, on note : une augmentation du glucose dépendant de la sécrétion d’insuline ; une diminution de la sécrétion du glucagon ; une protection de la cellule bêta.

Au niveau cardiovasculaire, on constate : une réduction des événements cardiovasculaires majeurs ; une diminution de la pression artérielle ; une limitation de la taille d’un infarctus.

Enfin, sur le plan gastro-intestinal, on note : une diminution de la vidange gastrique ; une réduction de la production hépatique de glucose ; une diminution de la graisse viscérale ; une réduction de l’appétit ; au bout du compte, une réduction pondérale.

Enfin pour Ralf de Fronzo, la Metformine ne diminue pas la mortalité cardiovasculaire et elle n’améliore pas la sensibilité à l’insuline, en l’absence d’une perte pondérale. Par ailleurs, la Metformine ne ralentit pas la progression du diabète. En revanche, les agonistes du GLP1 semblent augmenter la survie de la cellule bêta d’au moins trois ans.

Bref, les agonistes du GLP1 agissent sur six processus physiopathologiques du diabète de type 2, alors que la Metformine n’agit que sur un seul, à savoir la production hépatique de glucose.

En conclusion, les évidences cliniques et scientifiques sont fortement en faveur de l’utilisation des GLP1, en première ligne, pour le traitement du diabète d’instauration récente.

La riposte d’Inzucchi
Silvio Inzucchi rompt plusieurs lances en faveur de l’utilisation de la Metformine, en traitement de première ligne, pour un diabète inaugural.

Il avance les arguments suivants : en premier lieu, ce produit est connu depuis 30 ans (aux Etats-Unis) ; nous sommes donc largement à l’abri d’effets secondaires tardifs, comme cela a été le cas pour la rosiglitazone.

Par ailleurs, en se penchant sur le mécanisme d’action de la Metformine, il en dégage différents éléments comme : une diminution de la production hépatique de glucose ; l’activation de la sécrétion d’incrétine et de peptide YY, qui a une fonction anorexigène ; l’amélioration de la sensibilité à l’insuline, contrairement aux assertions de de Fronzo ; une diminution de l’absorption des hydrates de carbone ; l’augmentation de l’oxydation des acides gras.

« La Metformine est connue depuis 30 ans (aux Etats-Unis) ; nous sommes donc largement à l’abri d’effets secondaires tardifs »

De plus, pour Inzucchi, la Metformine a indéniablement un effet cardio-protecteur. Il souligne aussi que l’effet cardio-protecteur des agonistes du GLP1 ne s’exerce que sur les patients souffrant d’une maladie cardiovasculaire avérée, alors que la Metformine semble un facteur cardio-protecteur chez les patients sans atteinte vasculaire. De plus, les études ayant démontré l’effet bénéfique sur la mortalité cardiovasculaire des agonistes du GLP1 ont eu recours à des patients dont plus de 70 %, étaient traités par de la Metformine.

Autre argument, les effets secondaires graves de la Metformine sont exceptionnels, si les contre-indications sont respectées. De plus, on sait maintenant que ce médicament peut être prescrit à des patients à la fonction rénale réduite.

Des différences de prix considérables
Certes, les agonistes sont beaucoup plus chers que la Metformine. Je rappelle qu’une injection hebdomadaire de Trulicity coûte 173 francs par mois, alors que le prix de Metfin 1 000 mg est de 18 francs.

Cependant, les arguments de Ralf de Fronzo sont les suivants : les agonistes du GLP1 sont certes plus chers, car ils sont protégés, sous licence, mais des génériques devraient bientôt arriver et, par la même, faire baisser considérablement le prix de ces produits.

Autre argument à prendre en considération : des études, bien menées, ont montré que les agonistes du GLP1 réduisent les risques cardiovasculaires ; or, le coût du traitement des complications du diabète est de 50 % supérieur au coût de ces médicaments.

Pour sa part, Silvio Inzucchi insiste sur le différentiel de coût. En effet, aux Etats-Unis, le montant annuel d’un traitement à la Metformine seule est égal à 50 dollars contre 4 800 $ pour un traitement avec des inhibiteurs des SGLT2 (Jardiance ou Forxiga) et 9 300 $ avec des agonistes du GLP1 !

Nous sommes ici en présence d’une querelle typique d’experts, et il est donc bien difficile de savoir qui a définitivement raison ! Car il faut des études s’étendant sur plusieurs années pour juger de l’effet bénéfique ou nuisible des médicaments sur la sphère cardiovasculaire.

Il se dessine donc effectivement une médecine de pays riches et de pays pauvres, mais à la lumière de ces deux articles, on peut imaginer, que le traitement « bon marché » n’est pas forcément le moins bon, ce qui est réconfortant ! Notamment pour les pays dits « émergents » où on favorisera des substances comme la Metformine pour de simples questions financières.

Auteur: Dr Nicolas von der Weid