Le professeur Idris Guessous face au public de la Journée romande du diabète © FRD

Le diabète frappe de plein fouet les plus bas revenus

Menée depuis 1993 auprès d’adultes genevois (de 20 à 74 ans), l’étude « Bus Santé » – une enquête et examen de santé uniques en Suisse – révèle un nouveau pan de la réalité du diabète à Genève : plus le revenu et le niveau de formation sont faibles, plus le risque d’avoir un diabète est élevé. De quoi orienter les campagnes de prévention et de dépistage.

Le professeur Idris Guessous face au public de la Journée romande du diabète © FRD
Le professeur Idris Guessous face au public de la Journée romande du diabète © FRD

Présenté à Genève, lors de la Journée romande du diabète, par le professeur Idris Guessous, médecin-chef du service de médecine de premier recours aux HUG, responsable de l’étude Bus Santé jusqu’en 2018, le projet de recherche intitulé « Prévalence, évolution et déterminants socio-économiques du diabète non diagnostiqué et non traité dans le canton de Genève » est formel : s’agissant de diabète, « il faut prendre en considération les conditions socio-économiques et se méfier des moyennes », a insisté Idris Guessous. C’est pourquoi il suggère que les ménages ayant des revenus inférieurs à 5000 francs par mois puissent être informés et dépistés en priorité.

Un résultat à mettre en relation avec d’autres sur l’obésité qui ont révélé que le nombre de personnes en surpoids était trois plus élevé chez les bas revenus (18%) que chez les revenus supérieurs à 9500 francs (6%). A mettre en relation aussi avec le fait que 33% des résidents genevois renoncent à des soins médicaux et dentaires lorsque le revenu par ménage est inférieur à 3000 francs par mois.

Tout converge donc à expliquer pourquoi les variables de revenu du ménage, de formation, d’âge, de sexe, couplées, comme le fait l’étude présentée, au fait de bénéficier ou non d’un subside pour l’assurance-maladie, concourent à dessiner une situation très contrastée en matière de prévalence du diabète, c’est-à-dire le pourcentage d’une population susceptible d’être diabétique.

Tendance à la baisse de la prévalence du diabète
Financée par la Fondation pour la recherche sur le diabète (organisatrice, entre autres, de la Journée romande du diabète), l’étude, menée par l’Unité d’épidémiologie populationnelle (UEP) des HUG, présente tout d’abord un tableau de l’évolution globale du diabète à Genève entre 2005 et 2017. Elle repose sur les données recueillies auprès de 9483 participants à l’étude Bus Santé. Chaque année, plus de 1000 résidents genevois âgés de 20 à 74 ans répondent à des questionnaires portant sur la santé, l’activité physique et la nutrition ; un bilan sanguin est également réalisé. L’année 2005 a été choisie en fonction de ce dernier facteur puisque c’est à partir de cette date que les mesures de glucose plasmatique à jeun, mesure recommandée pour estimer la prévalence populationnelle, sont disponibles.

Globalement, la prévalence totale du diabète est « légèrement » en baisse (tenu compte d’un intervalle de confiance assez large), passant de 8,5% (intervalle de confiance 7.3, 9.8) pour la période 2005-2009 à 6,8% (5.7, 7.8) pour les années 2016-2017, avec un creux à 6,1% (5.1, 7.1)pour la période 2012-2015. La prévalence du diabète diagnostiqué suit la même tendance : 7,2% (2005-2009), 5,4% (2016-2017), avec un plus bas à 4,8% (2014-2015). En ce qui concerne le diabète non diagnostiqué, le pourcentage était de 1,4% pour la période 2005-2009, un chiffre que l’on retrouve en 2016-2017, alors qu’il était au plus bas (0,8%) en 2012-2013. Enfin, la prévalence liée à la connaissance d’avoir le diabète est passée de 84% (2005-2009) à 88% (2012-2013) pour chuter à 80% (2016-2017).

« Les inégalités socioéconomiques dans la prévalence du diabète se sont fortement creusées »

Les auteurs de l’étude notent que la prévalence du diabète total (6,8%) est similaire aux estimations faites à Lausanne ou en France et inférieure à celle constatée en Allemagne, en Autriche et en Italie. Ils s’inquiètent toutefois du fait que « la proportion de personnes atteintes du diabète et conscientes de leur état ne s’est pas améliorée ». Ils sont également préoccupés par la stagnation de la proportion de participants diabétiques non diagnostiqués (une femme diabétique sur 10, trois hommes diabétiques sur 10).

Des écarts considérables au sein de la population
« Il faut se méfier des moyennes », avertissait le professeur Idris Guessous. Car, comme le fait l’étude, si on prend en considération des indicateurs socio-économiques comme le genre, l’âge, le niveau de formation, le niveau de revenu des ménages et le fait de bénéficier ou non d’un subside (partiel ou complet) pour l’assurance-maladie, des écarts majeurs sautent aux yeux, concernant notamment les deux dernières variables.

Le genre tout d’abord : les hommes sont davantage malades du diabète que les femmes – 7,4% en 2016-2017 contre 6,2%. La proportion de diabète non diagnostiqué est également inférieure chez les femmes, alors que leur connaissance d’avoir le diabète est nettement supérieure (90% contre 72%).
L’âge, ensuite : pour la période 2015-2017, la prévalence du diabète total est de 16,8% chez les personnes de plus de 65 ans, de 7,9% chez les 45-64 ans et de 2,8% chez les moins de 45 ans.

Deux facteurs décisifs : la formation et le revenu
Les différences de prévalence du diabète total en fonction de la formation et du revenu sont, en revanche, plus contrastées. Qu’on en juge : le pourcentage est de 9,2% pour les personnes ayant un niveau de formation obligatoire, de 7% chez ceux ayant atteint le secondaire supérieur et de 5,3% au niveau tertiaire.

Les écarts sont encore accrus si l’on prend en considération les revenus par ménage : moins de 5000 francs par mois = 11,5% ; entre 5000 et 9500 francs = 7,3% ; plus de 9500 francs = 4,7%. Et ils deviennent béants si l’on tient compte du subside à l’assurance-maladie : le pourcentage est de 19,4% pour les personnes recevant un subside complet ; de 8,1% pour un subside partiel et de 6,1% pour ceux ne recevant aucun subside. A noter que seules 74% des personnes ont été diagnostiquées dans la catégorie de revenus la plus faible contre 90,2% chez les plus nantis.

Forte hausse du diabète chez les plus fragiles
Encore plus inquiétant : bien que « la prévalence semble demeurer relativement constante d’une période à l’autre pour tous les groupes socio-économiques, une exception claire a été observée parmi les participants ayant bénéficié d’un subside complet de l’assurance maladie, parmi lesquels la prévalence est passée de 13,7% en 2005-2010 à 23,9% en 2015-2017 ». Ce qui signifie que, dans cette catégorie de la population, le nombre de personnes susceptibles d’être diabétiques a fortement cru en treize ans et qu’aujourd’hui quasi un quart de cette population est menacé ! En d’autres termes, les inégalités socioéconomiques dans la prévalence du diabète se sont fortement creusées ; ce qui indiquerait qu’une partie de la population s’est paupérisée.

Une situation que l’on retrouve dans d’autres pays ou régions européennes, comme l’Angleterre, l’Irlande, l’Ecosse, l’Espagne ou en encore les Etats-Unis.

Ce constat alarmant mérite qu’on s’y attarde. Pour au moins une raison : à savoir que les personnes appartenant à la catégorie des revenus les plus bas ne consultent pas ou trop peu : 33% de ces résidents genevois renoncent à des soins. « Les dépenses liées à la franchise et à la quote-part de l’assurance-maladie sont un frein pour une partie de la population, relève ainsi le professeur Guessous. Cela signifie notamment que les ménages ayant moins de 5000 francs de revenus par mois sont à risque ».

Il apparaît donc important que les campagnes de santé publique (information et dépistage) s’adressent en priorité à cette population et aux quartiers où elle réside, puisque c’est aussi des lieux où l’obésité est proportionnellement forte. Or, le surpoids multiplie par quatre le risque du diabète. Il appartient donc aux autorités de santé de prendre le taureau par les cornes et de mieux cibler leurs actions de prévention.

Auteur: Pierre Meyer