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Taxe sur les produits sucrés

Transmise à Berne, l’initiative du Grand Conseil neuchâtelois visant à taxer les sucres ajoutés en Suisse a été balayée par la commission santé du Conseil des Etats. Pour les commissaires, la prévention n’est pas à l’ordre du jour.

Le diabète de type 1 et le diabète Le chiffre est frappant : 42 % de la population suisse est en surpoids ou obèse. Entre 1992 et 2012, la proportion des hommes concernés a passé de 38,6 % à 50,5 %, celle des femmes de 21 % à 32 %. Tous les nutritionnistes le savent : la consommation excessive de sucre est l’un des facteurs déterminants de cette évolution. Car le poids du sucre dans l’alimentation des Suisses a explosé depuis le 19e siècle: il était de 3 kilos, par année et par habitant, en 1850 contre 39 kilos en 2014, soit 13 fois plus ! (les Etats-Unis arrivent en tête du palmarès mondial avec 60kg, par année et par personne).

Face à cette réalité, les députés au Grand Conseil neuchâtelois ont décidé, en janvier 2017 (voir le d-journal no2 d’avril 2017), de transmettre aux Chambres fédérales une initiative cantonale « pour une législation fédérale sur les produits sucrés et pour une restriction de l’accès aux produits alimentaires à haute valeur énergétique ». L’objectif de cette initiative : mettre en place des mesures préventives de santé publique avec l’introduction d’une taxe différenciée et payée par les producteurs de l’industrie alimentaire en fonction de la quantité de sucre contenue dans les boissons et les aliments. Cette taxe serait notamment affectée à un fonds fédéral destiné à la prévention des maladies en lien avec la consommation excessive de sucre.

Fort soutien du Grand Conseil
L’initiative neuchâteloise avait reçu un soutien nettement majoritaire au Grand Conseil (62 % des voix contre 33 ; 14 oui contre 1 non à la commission de santé), les initiants mettant notamment en avant l’impact majeur des maladies non transmissibles (dont le diabète) sur les coûts de la santé et la prévention, comme la promotion de la santé, peu développées en Suisse.

« De 3 kg, par habitant et par année, en 1850, la consommation de sucre en Suisse est passée, en 2014, à 39 kg par personne et par année »

Pas de quoi faire ciller la commission santé du Conseil des Etats qui a refusé, par 9 voix contre 0 et deux abstentions, d’entrer en matière en janvier dernier. Prochaine étape : le 6 mars prochain en session plénière du Conseil des Etats. Dans un communiqué, la commission « estime [en effet] qu’une telle mesure ne devrait être examinée que s’il s’avérait que les efforts déployés actuellement par le Conseil fédéral et l’industrie alimentaire – notamment pour faire baisser l’ajout de sucre dans les yogourts et les céréales pour le petit déjeuner ainsi que pour limiter la publicité pour les boissons sucrées – ne sont pas efficaces ». Le texte fait allusion à la « Déclaration de Milan » de 2016 par laquelle dix multinationales de l’industrie alimentaire (rejointes en 2017 par quatre autres) se sont engagées, dans un accord avec le conseiller fédéral Alain Berset, à diminuer progressivement et volontairement la teneur en sucre dans les aliments cités.

Prévention destinée aux enfants et jeunes adultes
Il n’y aurait donc aucune urgence à légiférer, affirme en substance la commission du Conseil des Etats. Sans dévoiler les arguments développés en son sein, pour des raisons de confidentialité, le conseiller aux Etats socialiste Hans Stöckli (qui s’est abstenu) ne partage pas ce point de vue : « en principe, je suis favorable à des réglementations qui servent la prévention, en particulier lorsque cela concerne les enfants et les jeunes adultes. Mais, mon cheval de bataille actuel concerne le tabac, sur lequel je concentre mes efforts ».

Sucre tableau obesite

Source : Office fédéral de la santé (OFS)Plus généralement, Hans Stöckli constate que la majorité de droite (9 membres sur 13) de la commission santé du Conseil des Etats n’a aucune appétence pour la prévention dont elle réfute l’efficacité, en dépit de toutes les études et cas pratiques qui démontrent son efficacité, notamment dans la réduction des coûts de la santé.

L’influence écrasante des lobbies
Mais pourquoi cette frilosité ? « L’influence des lobbies, comme ceux du tabac, du sucre ou de l’alcool, est énorme, souligne Hans Stöckli. Et ils sont très présents au parlement, sans qu’il y ait face à eux de contrepoids. Ce pourrait être les assurances maladie, mais elles restent muettes ! » Et de poursuivre : « dans le camp bourgeois, la notion même de prévention, tout comme les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dont le siège est pourtant en Suisse, sont diabolisées, ce qui est regrettable. Ainsi, l’unique boussole de la droite demeure la liberté du commerce et de l’industrie. Une vision très étriquée lorsque l’on sait, par exemple, que si le tabac rapporte 4 milliards en Suisse, ses méfaits sont, en revanche, chiffrés à 8 ! Mais ces 8 ne comptent pas. »

« La notion de prévention est diabolisée, ce qui est regrettable »

Figure de proue des initiants neuchâtelois, le docteur et député vert Laurent Kaufmann (qui a présenté le texte devant la commission du Conseil des Etats) se dit évidemment déçu de cette fin de non-recevoir qui résonne comme un refus de la prévention. Il conserve toutefois un petit espoir vu que la commission dit vouloir attendre l’évaluation des effets de la Déclaration de Milan pour revenir, le cas échéant, sur le sujet.

« Mais que va-t-on mesurer, de quelle efficacité parle-t-on, s’interroge le Dr Kaufmann. Est-ce que seule la réduction de la quantité de sucre sera prise en considération ou va-t-on s’interroger sur les effets de cette baisse pour la santé publique, soit sur la diminution de la prévalence du couple obésité / diabète au sein de la population suisse, alors qu’elle est en hausse préoccupante depuis vingt ans, au moins ? »

Au législateur d’agir
Malgré l’échec de janvier, le médecin est convaincu de la nécessité d’une approche législative en matière de prévention. « Concernant le sucre, des dizaines de pays, notamment occidentaux, ont désormais mis sur pied une taxation des sucres ajoutés pour en faire baisser la consommation. Dans notre cas, nous avons choisi de laisser toute liberté au législateur fédéral pour qu’il concocte l’outil qui lui convienne, sachant que les initiants penchaient pour une taxation plus incitative que dissuasive. Ainsi, mon collègue libéral, Andreas Jurt, cosignataire du texte présenté à Berne, était d’avis que le produit de la taxe pouvait aller pour moitié à la Confédération et aux cantons et pour l’autre moitié à l’industrie alimentaire pour l’inciter, par exemple, à proposer davantage de produits sains. Le consommateur aurait pu n’en sortir que gagnant ».

L’initiative cantonale neuchâteloise n’est, cependant, pas encore enterrée. Le Conseil des Etats s’en saisira le 6 mars en séance plénière et un débat aura lieu si tant est qu’un député décide de s’en saisir. Puis ce sera le tour du Conseil national de se pencher sur le sujet. A l’heure où les méfaits liés à l’abus de sucre sont en passe de devenir partout un défi de santé publique majeur, il serait malvenu que la Suisse fasse bande à part.

Auteur: Pierre Meyer