Eleonor et Oriana
Eleonor et Oriana

 

Deux sœurs diabétiques évoquent leur quotidien

Oriana, l’aînée, et Eleonor sont de nature optimiste. Elles abordent les nouvelles expériences avec confiance et décontraction. Il est vrai qu’elles peuvent compter sur la vigilance et l’esprit de prévoyance de leurs parents.

Plantons le décor. Un après-midi doux de début septembre. Oriana (17 ans), Eleonor (13 ans) et leur mère Claudia sont attablées sur la terrasse de leur maison de Bernex. La campagne est toute proche. Un lézard, habitué des lieux, se chauffe au soleil. L’interview peut commencer. Immédiatement Oriana prend la parole ; sa sœur, plus réservée, attendra quelques instants avant de se lancer, elle aussi.

Nulle angoisse dans leurs propos. Comme la grande majorité des élèves, les deux sœurs ont attendu avec impatience le début des vacances d’été. « Oui, cela a été un soulagement. La fin des cours, c’est aussi la fin du stress », s’exclame, volubile, Oriana, dont le diabète a été diagnostiqué en avril 2011 et qui souffrait déjà d’une maladie coeliaque (intolérance au gluten), une autre affection auto-immune. Eleonor, diabétique depuis juin 2012, renchérit : « plus d’école, c’était bien ». Sans compter la perspective d’un camp avec de jeunes diabétiques, dans le cadre de la Fondation Diabète-Soleil, de vacances en famille fin juillet sur les plages toscanes et d’une semaine de rando à cheval programmée pour fin août. En gros, que du bonheur, même si Oriana avait des projets peut-être moins alléchants – excepté bien sûr les vacances familiales – , avec un job de 15 jours à la commune pour se faire des sous et la mise en train de son mémoire de maturité.

Des parents très prévoyants
La décontraction des sœurs, leur magnifique complicité, contraste quelque peu avec les préoccupations manifestées par Claudia, leur mère : « les départs en vacances, c’est toujours un peu tendu, dit-elle ainsi. Il faut tout préparer à l’avance, tout prévoir, car mon mari et moi-même essayons de les soulager au maximum. Notamment en préparant les bagages de façon à pouvoir faire face à toutes les éventualités, soit évaluer la fréquence des hypos et des hyper à venir, prendre le matériel à double ou à triple, notamment les rechanges de cathéters et les stylos injecteurs (ce qui signifie faire les commandes à l’avance), prévoir également les jus, les barres de céréales et le sucre, en cas d’hypos. Il faut tout programmer, même pour un week-end ».
Les vacances à la mer se sont toutefois très bien déroulées. Avec, cette année, un élément nouveau, très rassurant pour les parents… et les enfants : Oriana et Eleonor étaient toutes deux équipées du Freestyle Libre, dont elles sont immédiatement devenues fans : « C’était génial, disent-elles d’une seule voix. Plus besoin de se piquer. De plus, il donne des tendances, ce qui nous facilite considérablement la vie. Seul bémol : il se décolle facilement (surtout chez Eleonor) ».

« Les départs en vacances, c’est toujours un peu tendu »

Depuis sept ans, pour l’aînée, six pour la cadette, le même scénario se reproduit. Il est exigeant. D’autant plus qu’aucun cas de diabète ne s’était déclaré chez des proches auparavant. « Certes, la famille connaît des problèmes d’allergie et certains souffrent d’autres maladies auto-immunes, précise Claudia. Mais le choc a été rude lorsque nous avons appris le diabète d’Oriana, puis celui d’Eleonor. Pour nos enfants, c’est vraiment la double peine ».

 

Deux filles zen
Paradoxalement, Oriana et Eleonor sont beaucoup plus zen. « A dix ans, j’avoue n’avoir rien compris à ce qui m’arrivait, glisse Oriana, notamment lors de mon séjour à l’hôpital. Je suis d’ailleurs partie, seule, en vacances avec mon parrain et ma marraine trois mois à peine plus tard et j’ai réussi à gérer mon diabète sans trop de problèmes ». Pour Eleonor, qui avait huit ans lorsqu’elle est devenue diabétique, l’irruption de la maladie n’a, là aussi, pas été vécue comme un traumatisme : « je faisais tout comme ma sœur. A la base, c’était comme un jeu : je n’étais pas seule. D’ailleurs, je n’ai fait qu’une semaine à l’hôpital, vu que mes parents et ma sœur étaient déjà au courant ».
Côté parental, cela n’a pas été une partie de plaisir, vous vous en doutez bien. « Ce qui a ajouté à notre désarroi, indique la mère, c’est que les réactions au diabète de nos deux filles se sont révélées bien différentes. Si Oriana a réussi à se prendre en charge très vite, cela n’a pas été le cas pour Eleonor qui n’a cessé de se battre contre les hyperglycémies. Son corps, de plus, réagit moins bien à l’insuline et elle connaît de gros problèmes avec ses cathéters qui se coudent, sans compter les allergies qu’ils provoquent ».

A cheval pendant cinq jours
Une différence qui, évidemment, se reproduit pendant les vacances. Ainsi, alors qu’Oriana est ass ez stable dans ses besoins d’insuline à la mer, c’est la « catastrophe » pour Eleonor. Ce qui ne l’a pas empêché de vivre avec bonheur son séjour au camp de la Fondation Soleil-Diabète (certes très surveillé), mais aussi sa randonnée de cinq jours à cheval près de Sion où il n’y avait ni accompagnateur spécialisé, ni d’autres personnes diabétiques. « La rando s’est très bien déroulée, affirme pourtant Eleonor. Bien sûr, j’étais un peu stressée à l’idée de faire des hypos et des hypers, mais j’ai juste connu une alerte lorsque, au cours d’une nuit, j’ai eu une hypo que j’ai eu du mal à remonter ».

« Les réactions au diabète de nos deux filles se sont révélées bien différentes »

Si elle apprécie énormément les camps pour enfants diabétiques, Eleonor aime tout autant les occasions où elle peut côtoyer des enfants qui ne sont pas malades : « je préfère en dire le moins possible, souligne-t-elle. C’est plus sympa de parler cheval que de parler diabète ». Oriana est du même avis : « on prend tellement de précautions que l’on est bien préparées ».

Deux sportives accomplies
Les deux sœurs sont d’ailleurs des sportives accomplies. Pratiquer l’accrobranches les branche, même si l’effort peut être intense et durer plusieurs heures. Il « suffit » de s’équiper d’une pochette ou d’une banane avec du sucre… Ainsi, le rêve d’Oriana n’est ni plus ni moins que de faire de la plongée sous-marine : « J’ai appris que l’on pouvait boire, voire se resucrer sous l’eau… Alors où est le problème ! » Le cheval reste, pour l’heure, la passion d’Eleonor ; et elle envisage sereinement de participer à des compétitions. Encore faudra-t-il qu’on lui en laisse le loisir en raison de sa maladie ? Une restriction malheureusement envisageable qui met sa mère en colère. « On ne renonce pas à une activité, s’exclament à l’unisson les deux sœurs, même si c’est parfois dur de s’y remettre après une hypo. Il faut juste que les autres participants soient un peu patients ! »

Rentrée des classes
La rentrée des classes s’est déroulée sans problèmes majeurs. « Il faut un temps d’adaptation, c’est tout, commente Eleonor. J’ai eu des hypos toute la première semaine, provoquées sans doute par le changement d’horaires. On retrouve, en effet, un rythme plus régulier que pendant les vacances où les réveils ont été souvent tardifs ». Oriana note, pour sa part, que certains cours, comme les maths, exigent beaucoup de concentration (notamment lors des épreuves) et que l’on a tendance à oublier que notre consommation d’énergie est
équivalente à celle dépensée lors d’une heure de gymnastique.

« On ne renonce pas à une activité, même si parfois c’est dur de s’y remettre après une hypo »

«Pour le reste, je n’ai connu aucun problème avec les profs, l’institution ou les élèves, poursuit-elle. Je suis en terrain connu puisque de la 3ème à la 4e année de collège mon environnement n’a pas changé ». Pour Eleonor, en revanche, l’effort d’adaptation a été plus intense puisqu’elle a changé d’enseignants. Mais elle relativise : « j’ai d’ailleurs oublié de leur faire part de mon état », ce qui revêt pourtant une certaine importance car l’élève diabétique a l’autorisation de se resucrer en classe, par exemple avec une boisson, alors que c’est interdit pour les autres élèves. Au collège, c’est toléré, donc plus simple pour Oriana qui ne demande plus l’autorisation.

Information aux enseignants
« Avant la rentrée, nous avons été contacté par l’infirmière de l’établissement d’Eleonor, intervient Claudia. Il s’agit de mettre à jour un document appelé le PAI (projet d’accueil individualisé) qui contient toutes les informations de santé nécessaires concernant Eleonor. Ce document est communiqué par l’infirmière aux enseignants pour information, information qui est assortie de recommandations en cas de problème ». « Une fois encore, poursuit-elle, nous devons anticiper les choses, en nous assurant, par exemple, que les filles disposent bien d’un casier personnel où elles peuvent ranger tout ce dont elles ont besoin pour gérer leur diabète ».

Et l’institution, les professeurs, voire les autres élèves, comment se comportent-t-ils ? « C’est très variable, explique Eleonor. Certains enseignants sont très concernés, d’autres n’en tiennent pas compte. Ce que je regrette surtout c’est que le Cycle n’a pas l’idée de regrouper les rares élèves diabétiques lorsque c’est possible. Or, j’ai une camarade diabétique dans une classe parallèle à la mienne et avec laquelle je pourrais avoir beaucoup de cours en commun. Personne n’a manifestement pensé à nous mettre ensemble… Même expérience lors d’un camp de ski, l’hiver dernier, où on s’est retrouvées, la même semaine, dans deux endroits différents. Avec les autres élèves, tout se passe bien ; ils me posent les questions habituelles et on passe à autre chose ».

Demain est un autre jour
Ni Oriana, qui achèvera ses études secondaires en juin 2019, ni Eleonor, qui terminera le Cycle au même moment, n’ont une idée très précise de leur avenir professionnel. Le domaine de la santé pourrait les intéresser, mais pas forcément la médecine. Tout compte fait, c’est probablement vers l’histoire de l’art que s’orientera l’aînée. Son mémoire de maturité porte d’ailleurs sur un sujet tout à fait original, à savoir le maquillage des têtes de mort mexicaines. « Je suis fascinée par la mort… de façon joyeuse », explique-t-elle très à l’aise avec cette apparente contradiction. Peut-être un étonnant héritage de sa mère qui est originaire du Guatemala, pas loin de la frontière mexicaine.

A 17 et 13 ans, l’avenir reste encore un peu dans les limbes et c’est assez naturel. Pour Claudia, ce n’est, en revanche, pas du tout le cas, tant elle mesure d’ores et déjà les obstacles que ses filles auront à franchir. « Sans compter les professions qui leur seront peut-être refusées, je suis très concernée par la façon dont le monde du travail va les accueillir, s’inquiète-t-elle. Il suffit de penser au permis de conduire : avant de l’obtenir, elles devront prouver que leur glycémie est stable, entre 5 et 8, et faire un contrôle de glycémie chaque fois qu’elles prendront le volant. Est-on aussi exigeant à l’égard des personnes qui consomment de l’alcool ou des médicaments… ?! »

« Entre Oriana et Eleonor, une solidarité sans faille »

Oriana et Eleonor, tout au long de l’interview, ont manifesté une solidarité sans faille, sous le regard à la fois aimant et anxieux de leur mère. Bien protégées par le cocon familial, elles traversent aujourd’hui leur épreuve avec détermination et sans prise de tête.

Auteur: Pierre Meyer