Vera Cherubin dans son bureau

Depuis sept ans, Vera Cherbuin sillonne le Val de Travers

Vera Cherbuin vit à Môtiers et travaille comme infirmière en diabétologie indépendante, la seule dans son cas dans le Val de Travers (canton de Neuchâtel), après avoir passé 18 ans en EMS. En allant chez les gens, en observant leur mode de vie et en les accompagnant, l’infirmière a acquis une expérience inestimable auprès de patients qui souvent minimisent leur maladie, qualifiée de « petit diabète » !

« C’est suite à mon expérience en EMS que j’ai pris la décision de me spécialiser en diabétologie, explique Vera Cherbuin, consciente des besoins qu’il y avait à satisfaire. L’occasion aussi de s’installer en indépendante et de parcourir de long en large cette région qu’elle chérit. Aujourd’hui, je consacre 50 % de mon activité comme infirmière indépendante, à savoir tous les après-midi, du lundi au jeudi, et un autre 50 % aux soins à domicile dans le haut du canton dans le cadre de NOMAD (Neuchâtel Organise le Maintien à Domicile), l’institution cantonale, tous les matins du lundi au jeudi ».

« La visite de l’infirmière est parfois ressentie comme une obligation imposée par le médecin »

Lorsque, après sa formation, elle s’installe le 1er mai 2012, Vera sait immédiatement qu’elle a vu juste : ce jour-là, pas moins de six médecins de la Vallée la contacte pour qu’elle se rende chez leurs patients diabétiques : « pour eux, c’était un gain de temps précieux ; pour les patients, cela apportait de la souplesse car ils n’avaient pas à se déplacer : un avantage pour tout le monde », affirme Vera qui s’est mise à la tâche, le moral gonflé à bloc.

Vera Cherbuin en consultation
Vera Cherbuin en consultation

Rompre la glace
Vera Cherbuin est effectivement du coin et elle en est fier, même si elle est d’origine… portugaise. « Mes parents sont arrivés dans la Vallée alors que je n’avais que 16 mois. Mon père, qui avait alors une entreprise de maçonnerie / carrelage près de Lisbonne, est venu en Suisse comme saisonnier, avec sa femme et ses deux filles, sur un coup de tête, à la suite d’un pari ! Mes parents sont toujours là. J’ai épousé un gars de la Vallée, originaire de Corcelles-près-Payerne, avec lequel j’ai deux enfants, une fille et un garçon, aujourd’hui adultes. Ma sœur a aussi fait sa vie dans la Vallée».
Etre enraciné dans ce coin de pays où les hivers sont longs et la neige épaisse, avoir usé ses fonds de culottes sur les mêmes bancs que ses voisins, même s’ils habitent à 20 kilomètres, tel est le premier atout de Vera auprès de ses patients. Elle n’est pas l’étrangère, elle n’est pas l’intruse ; tout le reste en découle.

«La plupart des personnes que je vais voir (80 % ont plus de 50 ans) ont déjà une histoire, plus ou moins longue, avec leur diabète»

Des patients démotivés
« Même si ce n’est pas toujours gagné, relève l’infirmière indépendante. La plupart des personnes que je vais voir (80 % ont plus de 50 ans) ont déjà une histoire, plus ou moins longue, avec leur diabète. Les personnes en surpoids, notamment, ont déjà tout essayé, tous les régimes de la terre, sans succès. De plus, la plupart d’entre elles s’accommodent de leur « petit diabète » qui, disent-elles, est lié à l’âge, un mantra répété avec fatalisme, même si les complications commencent à pointer le bout de leur nez.»
« C’est là que j’interviens avec le plus de doigté possible, par petites touches. Le malade du diabète est le plus souvent farouche, mal à l’aise. Il sait qu’il pourrait faire un effort, soit manger mieux, bouger plus, comme on le lui rabâche. Mais ces contraintes, qui peuvent paraître anodines, prennent parfois la taille de montagnes infranchissables ».

La méthode des petits pas
Susciter la confiance, capter l’attention du patient est un travail subtil dont Vera s’acquitte avec une volonté et une empathie qui forcent l’admiration. « En arrivant chez les gens (j’en vois 8 à 10 par semaine), j’observe avec attention l’environnement dans lequel vit le patient et j’échange aussi avec les proches qui participent parfois à l’entretien. Des informations dont le médecin traitant, dans son cabinet, ne disposent pas. D’autre part, rien ne sert de dire aux personnes, de but en blanc, de manger moins de sucre. En revanche, il est très utile de déchiffrer avec elles les étiquettes des produits qui se trouvent dans le frigo ou sur l’étagère, en leur suggérant, de cas en cas, des aliments de substitution qu’ils pourront trouver dans le même magasin. Pareil pour l’exercice physique, il faut trouver le bon moment pour utiliser, par exemple, le vélo d’appartement. Si le patient a l’habitude de suivre une série télévisée, rien de tel que de se dépenser en la regardant ».

« Si je parviens à maintenir les patients dans leur état présent, sans qu’il se péjore, c’est déjà bien »

Autre clé du succès, le fait que Vera a appris à ne pas placer le curseur trop haut. « Je sais d’expérience qu’il est inutile de se fixer de grands objectifs. Si je parviens à maintenir les patients dans leur état présent, sans qu’il se péjore, c’est déjà bien. Ainsi, les gains sont parfois minuscules, comme un croissant de moins ici, une cigarette de moins là. Un travail de fourmi dont le moteur est toujours le même : renforcer, chez le patient, une motivation qui ne cesse de s’éroder au fil des jours et des années et fait qu’ils baissent les bras. »
« La retraite est aussi un moment absolument crucial. Trop souvent, les patients abandonnent toute activité physique, alors que leur métier exigeait d’eux qu’ils bougent. Il conviendrait de ne pas rater ce moment charnière pour inciter ces personnes à faire, par exemple, de la marche dans un groupe où pourrait se réunir plusieurs pathologies afin d’éviter la stigmatisation à laquelle les diabétiques sont très sensibles ».

Vera Cherbuin en route pour une consultation
Vera Cherbuin en route pour une consultation

S’appuyer sur un réseau
Répondre aux questions, casser les préjugés tenaces ou les idées fausses qui entourent le diabète font également partie de sa mission. Ainsi, Vera n’hésite pas à faire des recherches chez elles, notamment sur internet, afin de pouvoir apporter des réponses nuancées, car affirmer de manière péremptoire que telle assertion est juste ou fausse n’apporte rien : « il faut que le patient soit lui-même convaincu de ce que j’avance ».

« La retraite est aussi un moment absolument crucial »

L’infirmière en diabétologie a aussi des contacts réguliers avec les médecins traitants qu’elle assiste, sans compter les cas difficiles qu’elle soumet à un diabétologue de Neuchâtel et/ou au réseau de collègues qui s’est peu à peu constitué dans le canton en un groupe pérenne d’une quinzaine de membres auquel elle recourt régulièrement. Elle est également en contact avec une infirmière en diabétologie du cru qui reçoit dans le cabinet de son mari médecin, à Fleurier.

« Le pied diabétique est, de loin, la principale complication dont j’ai à m’occuper »

Dans cette région où les hivers sont sévères, la visite chez le patient tourne parfois à l’expédition d’autant que le rayon d’action de Vera Cherbuin comprend toute la vallée, de Noiraigue à La Côte-aux- Fées, mais aussi La Brévine dont on connaît la réputation de Sibérie de la Suisse. « La première année, s’amuse Vera, j’utilisais ma petite voiture, mais j’en ai eu assez de mettre les chaînes. J’ai vite changé pour un 4 x 4 plus performant ! »
Rudes au mal, disposant de moyens financiers limités, les patients de Vera connaissent pour la plupart déjà des complications. « Impossible pour eux de recourir à un / une podologue qui facture 90 à 100 francs la séance, sans compter le déplacement ; une somme qui n’est pas remboursée par les assurances. Alors, ils font avec et le pied diabétique est, de loin, la principale complication dont j’ai à m’occuper. J’essaie, au mieux, de faire de la prévention, d’adapter les chaussures si besoin et de repérer les points de friction ou de chaleur, mais lorsque les plaies sont ouvertes je délègue les soins à un / une spécialiste, car je n’ai pas les compétences pour agir. Parfois, malheureusement, la seule issue est l’hospitalisation ».

« Une meilleure prévention aboutirait, au final, à une baisse des coûts de la santé »

Rien d’étonnant à ce que Vera Cherbuin rêve d’une prise en charge nettement plus précoce qui permettrait, en aidant notamment les malades à équilibrer leur diabète sur la durée, de repousser, voire d’éviter les complications qui, non seulement les handicapent et pèsent sur leur entourage, mais entraînent aussi des traitements et des hospitalisations qui n’auraient pas été nécessaires. «Le domaine de la prévention est laissé en jachère ; il ne se passe rien, ou presque, s’insurge Vera. Or, une meilleure prévention aboutirait, au final, à une baisse des coûts de la santé. Une surveillance systématique des pieds des personnes diabétiques, par exemple une fois par an, serait très efficace ».

On l’aura compris, Vera est une infirmière en diabétologie très motivée, qui n’a de cesse de chercher, avec ses patients, les solutions les plus adaptées à leurs besoins. C’est pourquoi elle vient de se lancer dans une nouvelle formation de nutritionniste, bien consciente que l’alimentation est une des clés d’un diabète équilibré. « Je n’ai pas le droit de me planter », explique-t-elle avec modestie, tout en souhaitant mettre tous les atouts dans sa manche, par respect pour ses patients diabétiques qui, eux, ont perdu leur insouciance, à vie.

Auteur: Pierre Meyer, rédacteur en chef