Portraits

Justin et Thomassine : la vie envers et contre tout

Agés aujourd’hui respectivement de 25 et 26 ans, Justin et Thomassine sont diabétiques de type 1 depuis une quinzaine d’années, lui depuis ses 9 ans, elle lorsqu’elle en avait 12. Grâce à un environnement familial chaleureux, ils ont traversé toutes les galères avec un certain détachement, voire une forme de déni. Entre eux, d’ailleurs, ils ne parlent quasiment jamais de diabète.

Portraits Avec Maman
Thomassine, Nicole et Justin

« Bienvenue au club ! » C’est en ces termes que Justin, qui avait alors 10 ans, a accueilli sa sœur, le jour où il a su qu’elle aussi était diabétique. Un vrai coup du sort pour la famille qui, à peine plus d’un an après Justin, apprenait que Thomassine souffrait de la même maladie que son frère cadet. « Mais, pourquoi nous ? », s’interroge encore Nicole, la mère. Même si très vite, elle et son mari Michel ont choisi d’aller de l’avant, estimant que le diabète n’allait pas empêcher leurs enfants de vivre leur vie.

« Bienvenue au club ! »
« Bienvenue au club ! » Si, aujourd’hui, Justin n’est pas très fier de sa réaction de l’époque, il l’explique de la manière suivante : « je n’étais plus seul face à ma maladie, ce qui a représenté un vrai soulagement ; car, à ce moment-là, je n’avais aucun camarade diabétique dans mon environnement proche et, comme vous le savez, les écoliers ne se font pas de cadeau. Mais, dans le même temps, je me suis dit m…., Thomassine est dans la même tourmente que moi ». Ce destin commun les a bien sûr rapprochés. Pourtant, la sœur et le frère n’évoque quasiment jamais le sujet entre eux (ils préfèrent parler cuisine…), chacun gérant – « mal », intervient Justin, sous le regard complice de sa sœur – la situation à sa manière.

« Dans la famille Michellod-Carron, la solidarité n’est pas un vain mot. Ils sont comme les cinq doigts de la main »

Florian, le frère cadet assiste, un peu à l’écart et des écouteurs sur les oreilles, à l’entretien. En entendant ses aînés, il ne peut s’empêcher de faire de temps à autre une remarque, un brin caustique. S’il n’est pas atteint par la maladie, il est manifestement très concerné par ce qui leur arrive, à tel point que, lorsqu’il a appris, par deux fois, que ses aînés en étaient atteints, il a fait une crise d’asthme carabinée, sans qu’il n’en connaisse d’autres par la suite !

Une famille très unie
Dans la famille Michellod-Carron, la solidarité n’est pas un vain mot. Ils sont comme les cinq doigts de la main. C’est ainsi que, lors de l’interview, chacun y est allé de son commentaire : comme Nicole, la mère, tiraillée entre son envie d’intervenir et de les laisser s’exprimer, comme Michel, le père, plus discret, mais néanmoins présent, comme Florian qui feint le détachement pour mieux exprimer sa bienveillance. Face à la « diablesse », comme Justin appelait, enfant, son diabète, le clan est aussi solide qu’empathique.

Une tribu où les relais ne manquent pas puisque les parents ont, chacun de leur côté, six frères et sœurs ; autant d’oncles et de tantes qui ont, immédiatement, manifesté leur compréhension active à l’égard de Thomassine et de Justin en prenant, par exemple, bien garde d’avoir toujours des boissons fraîches ou des bonbons sans sucre chez eux.

Parents et enfants sont d’autant plus soudés qu’ils participent aujourd’hui tous à l’entreprise familiale qui comprend le Labyrinthe Aventure d’Evionnaz et le Happyland de Granges, près de Sierre. A Justin revient l’entretien des installations suite à son apprentissage de charpentier ; à Thomassine, les comptes et les buvettes après son apprentissage de cuisinière dans un restaurant ; à Florian, la communication et les nouvelles attractions ; à Nicole, la gestion du personnel et la réception ; à Michel, enfin, la responsabilité d’orchestrer le tout. C’est lui qui a initié le rachat du Happyland en 2016, alors que le Labyrinthe Aventure a été créé il y a plus de trente ans.

Quand le verdict tombe…
Justin se souvient très bien du jour où il a appris qu’il était malade : « c’était le 19 mars, à la Saint-Joseph, en pleine période d’examens. J’étais alors en 3e primaire. Je me rappelle que j’avais extrêmement soif et que j’allais tout le temps aux toilettes. Mais le printemps était chaud et on a pensé que j’avais une gastro. Toutefois, une fois à l’hôpital, le verdict est tombé : c’était le diabète. Ma mère a tout de suite su ce qu’il en était. Son grand-père maternel était lui-même diabétique. Quant à mon père, il n’a pas saisi immédiatement que j’en avais pour la vie. Il pensait qu’en 15 jours, tout serait réglé ! Si je me souviens aussi bien de la date du 19 mars, c’est que chaque année, je fais une crise d’hyperglycémie pile à ce moment-là ! ».

« A la maison, l’émotion est évidemment à son comble ; et l’angoisse aussi, d’avoir à s’occuper d’un deuxième enfant diabétique »

Thomassine, un an plus tard connaît les mêmes symptômes. De plus, elle avait beaucoup maigri : « j’étais même si faible qu’une copine s’était demandé pourquoi je tombais si souvent de mon vélo. Mes parents m’ont alors emmené chez le médecin qui a diagnostiqué… une crise d’anorexie. L’hôpital, lui, a vu juste. J’avais, moi aussi, le diabète. Sur le moment, je n’ai pas vraiment réagi, tellement j’étais fatiguée ».

A la maison, l’émotion est évidemment à son comble ; et l’angoisse aussi, d’avoir à s’occuper d’un deuxième enfant diabétique. Avec cette pesante routine des questions qu’il s’agit de poser tous les jours à ses enfants : « As-tu fait ta glycémie ? As-tu fait ton bolus ? As-tu fait tes injections ? ». « Aujourd’hui encore, notre mère ne peut s’empêcher de nous les poser de temps à autre, confie Justin, mais il est vrai que ni moi, ni Thomassine ne sommes suffisamment disciplinés ». Pensive, Thomassine confirme : « en effet, comment gérer son diabète si on ne prend pas ses glycémies ? », alors qu’elle a beaucoup de peine à supporter cette contrainte.

Portraits Famille
La famille Michellod-Carron. De gauche à droite : Justin, Nicole, Michel, Florian et Thomassine

Capteurs et pompes changent la donne
Les capteurs et les pompes ont toutefois beaucoup changé la donne, même si leur gestion au quotidien continuer à poser de nombreux problèmes. Techniques, pour Justin, qui a renoncé à la pompe il y a un an pour reprendre le stylo à injections avec lequel il est beaucoup plus à l’aise. « Avec la pompe, ma peau au niveau du ventre est peu à peu devenue comme du cuir, c’est pourquoi je préfère aujourd’hui le stylo. Avec lui, j’ai l’impression de mieux maîtriser mon diabète ; je sens mieux les hypers qu’avec la pompe ».

Thomassine est restée à la pompe, mais elle tempête contre cet objet aussi encombrant qu’inesthétique, notamment en été : « porter une pompe et un cathéter avec un short ou une jupe, c’est vraiment compliqué. Il faut aussi faire attention aux pantalons d’été, car beaucoup n’ont pas de poches. On arrive aujourd’hui à faire des téléphones mobiles tout plats : qu’attendent les fabricants pour réduire la taille de leurs appareils ?! », s’insurge-t-elle.

« T’écoute quoi ? »
Par chance, plus aucun jeune ne se balade dans la rue sans un portable d’où sortent les fils des écouteurs. « Avec nos appareils, nous sommes désormais presque dans la norme, remarquent Thomassine et son frère. A tel point qu’on me demande sans arrêt lorsque mon cathéter dépasse : « T’écoute quoi ? », s’amuse Thomassine, en riant aux éclats.

L’arrivée du Freestyle Libre a également facilité les choses, dans le sens où le capteur, placé sur le haut du bras, est devenu comme un signe distinctif, un signe d’appartenance à une communauté. « Entre personnes diabétiques, on se reconnaît, disent-ils en cœur ; mais c’est aussi un prétexte à la conversation avec les non-diabétiques. La maladie est si peu connue dans la population… ». « Le Freestyle, c’est bien, mais je l’arrache tout le temps », tempère pourtant Thomassine, mais comme elle a horreur des aiguilles…

Les camps : un bol d’air
Lorsqu’ils étaient plus jeunes, Justin et Thomassine ont fait plusieurs camps de jeunes diabétiques. « Le plus important était que, tout d’un coup, nous n’étions plus seuls dans notre cas, se souvient Justin. D’autre part, on y apprenait plein de trucs pour mieux gérer notre diabète et on pouvait en parler directement avec d’autres enfants ». Thomassine en retient aussi cette impression forte qu’elle et son frère « n’étaient plus seuls dans leur révolte » qui, en raison de l’éloignement d’avec les parents, pouvait s’exprimer sans frein. Un vrai bol d’air en somme.

« Lorsqu’ils étaient plus jeunes, Justin et Thomassine ont fait plusieurs camps de jeunes diabétiques »

En dépit de ces expériences communautaires positives, Justin et Thomassine n’utilisent aujourd’hui que très peu les réseaux sociaux pour parler diabète avec leurs pairs : « j’ai gardé quelques contacts sur Facebook avec les personnes que j’ai connues pendant les camps, précise toutefois Thomassine, mais ça s’arrête là ». Quant à Justin, il n’y va jamais.

Un déni persistant
Tout en écoutant ses enfants, Nicole, la mère, hoche la tête : « tous les deux sont, encore et toujours, dans le déni de leur maladie ». Thomassine et Justin acquiescent, en silence. « C’est vrai qu’on n’y arrive pas », disent-ils tous les deux. « J’arrive à tout gérer pendant quelques semaines, reconnaît Justin et, puis brusquement, cela dérape ». « Pareil pour moi, poursuit Thomassine. A chaque visite, mon médecin me met au défi concernant mes glycémies et là je fais un effort. Cela peut durer six mois, jusqu’au jour où rien ne va plus… »

En dépit de la gestion chaotique de leur diabète, Thomassine et Justin vivent une vie pleine : ils travaillent, ils voyagent (parfois très loin), ils s’amusent, ils aiment. Tout leur est ouvert, tout leur est possible, avec et grâce au soutien indéfectible de leurs proches. Dans leur cas, le diabète n’a jamais représenté un obstacle, mais demeure, assurément, une exaspérante contrainte au quotidien.

Auteur: Pierre Meyer