Portrait Cheval Morgane

Diabète de type 1

Portrait MorganeMorgane Corbelin, 17 ans, vit avec le diabète depuis l’âge de 4 ans et demi. Ce qui fut un combat, pour elle comme pour ses proches, s’est peu à peu transformé en coexistence, le plus souvent pacifique, heureusement.

Notre rencontre a lieu à Pampigny, un petit village vaudois au pied du Jura, dans la maison familiale. A la table de la cuisine, Morgane donne l’image d’une jeune fille de son temps, ouverte et souriante. Sa mère, Martine, très impliquée dans la question du diabète, participe à l’interview. Antoine, le frère cadet de Morgane, sera aussi brièvement de la partie.

Atteinte par la maladie à l’âge de 4 ans et demi, Morgane reconnaît très vite qu’elle n’a pas beaucoup de souvenirs de cette époque : « au fond, pour moi, c’est comme si j’avais toujours vécu avec le diabète. Au fil des années, il est d’ailleurs devenu une sorte d’alter ego. C’est ainsi qu’il m’arrive de le personnifier, d’échanger avec lui et de le féliciter lorsque les glycémies sont bonnes ! » Morgane n’est évidemment pas dupe, mais elle exprime de cette façon ce que beaucoup de malades revendiquent, soit le refus d’être assimilés à leur diabète.

Exister hors du diabète
« Je ne suis pas une diabétique – d’ailleurs, ne faudrait-il pas changer le nom du diabète de type 1 qu’au mieux personne ne connaît, et qu’au pire les gens confondent avec le diabète de type 2 (assimilé à l’âge et à l’obésité) ? –, mais une personne qui souffre du diabète, ce qui n’a rien à voir, insiste Morgane, car on peut parfaitement exister hors de son diabète ». L’exigence est forte ; elle est même vitale, à certains égards. Ainsi, rien ne peut lui faire plus plaisir qu’un copain ou une copine qui lui lance : « Tiens, t’es diabétique toi : j’avais oublié ! ».

« Tiens, t’es diabétique toi ? J’avais oublié ! »

Pour en arriver là, les batailles ont été rudes et, aujourd’hui encore, le combat quotidien contre les effets de la maladie génère, parfois, de la colère comme de la lassitude, avec cette pensée lancinante au fond du crâne qui exige que ça s’arrête.

Tout a démarré début 2005. Depuis quelques mois, Morgane perd du poids, régulièrement. La période est toutefois un peu bousculée puisque la famille est de retour en Suisse, après avoir passé six mois en Mayenne où elle souhaitait alors s’installer. Trouver un nouveau logement et emménager à Pampigny requièrent toute l’énergie de Martine, la mère de Morgane. En mars 2005, pourtant, les événements s’accélèrent pour la fillette qui n’est pas encore scolarisée, car elle est née en novembre 2000. « En plus de la perte de poids, ma fille était de plus en plus fatiguée ; de plus, elle buvait énormément, confie Martine. Le 31 mars 2005, le diagnostic tombe : « Votre fille sera malade à vie », assène alors le médecin, sans plus d’explication ! Cela a été une très grosse surprise pour moi, car personne dans la famille proche n’avait cette maladie ».

Aux soins intensifs
Et là, c’est le parcours du combattant qui commence. Si Morgane dit se souvenir de manière floue de moments très difficiles, sa mère, Martine, se rappelle encore de tout, avec un mélange de douleur et de soulagement : « Morgane a été très vite transférée à l’Hôpital de l’Enfance à Lausanne ; mais son cas nécessitait des soins plus pointus, c’est pourquoi elle a été emmenée en soins intensifs aux HUG à Genève (le CHUV n’avait pas de place). Morgane avait alors des glycémies très hautes ; elle était complètement déshydratée. Les moyens mis en œuvre pour la traiter ont été perçus par nous, parents, comme particulièrement brutaux et intrusifs. Je vous avoue que, pendant 3-4 jours, nous avons vécu entre parenthèse, en mode survie, sidérés par cette violence. Puis, Morgane, stabilisée, a été rapatriée à l’Hôpital de l’Enfance où elle a passé trois semaines au cours desquelles, elle comme nous, avons appris à gérer au quotidien la maladie ».

« La maîtresse enfantine et l’infirmière spécialisée ont été parfaites »

« C’est fou ce qu’en douze ans tout a changé, intervient Morgane. A l’époque, le choix s’est porté sur les injections plutôt que sur la pompe, qui en était à ses débuts ». Mais c’est quand même toute une affaire : « Il fallait quatre injections par jour, dont deux fois un mélange d’insuline rapide et lente, précise Martine. Tout cela à heures fixes, avec un repas à prendre dans les 15 minutes suivantes. Le protocole était très rigoureux. C’était lourd à porter et particulièrement stressant pour nous et Morgane. Sans compter la difficulté des relations sociales puisqu’il faut sans cesse expliquer ce qui se passe, alors que le diabète est associé, dans la tête des gens, à une affection touchant habituellement les personnes âgées et en surpoids ».

Début scolaire réussi
En août 2005, Morgane commence sa première année d’école à Pampigny. Sur la vingtaine d’élèves, elle est la seule à être malade du diabète. Heureusement, tout se passe bien : une des deux infirmières spécialisées dans la relation école-familles fait des exposés à l’intention des enseignants et des enfants. Le message passe, la compréhension est au rendez-vous. « La maîtresse enfantine, que j’ai eue pendant deux ans, a été parfaite, souligne Morgane ; elle m’a donné confiance en moi-même. Elle a également fortement contribué à ce que mes camarades prennent conscience de mon état. Car, dans un premier temps, ils avaient un peu peur, s’étonnaient que je doive me piquer avant de manger. Les réactions les plus douloureuses sont venues de ceux qui ne voulaient pas me toucher, de peur d’attraper la maladie ! »

Mais grâce à l’attention de l’enseignante, aux conseils et aux cours avisés des infirmières spécialisées, Morgane s’intègre à merveille : « Très rapidement, je me suis fait des amies et il n’était pas rare qu’elles m’invitent pour un repas ou une fête d’anniversaire ».

« La maladie agit comme un révélateur, insiste Morgane. Malheureusement, certaines de mes connaissances n’ont pas bien compris ce qui était en jeu et ils leur arrivaient de se précipiter, en ma présence, sur des aliments qui m’étaient interdits, sans tenir compte de ma frustration. J’avoue que j’en ai encore une certaine rancœur. D’autres personnes, en revanche, se sont révélées fantastiques et j’en garde un souvenir ému ».

Rencontrer ses pairs est un vrai bonheur
Jusqu’à 7 ans et demi, Morgane se fait régulièrement ses injections. Puis, elle est passée à la pompe, devenue plus accessible grâce au développement technologique ; et cela pendant quatre ans. Son expérience est contrastée : « la pompe est évidemment très pratique ; elle me permettait de faire mon bolus toute seule. Mais elle présente aussi de multiples inconvénients sur le plan technique : cathéter bouché, infecté ou arraché ; cartouche qui bogue ; piles à plat. Mon angoisse se reportait sur l’appareil lui-même ! Un comble. Notamment pendant la nuit où il rendait mon sommeil inconfortable et agité, ou encore à la piscine où il fallait l’enlever ».

« La maladie agit comme un révélateur »

En dépit de tous ces écueils, Morgane s’accommode peu à peu de sa maladie. Afin de l’aider, ses parents ont en effet très rapidement compris tout le bénéfice que pouvait apporter une adhésion au Groupe romand de parents d’enfants diabétiques (GRPED), ce qu’ils font début 2006. Pour Morgane, c’est une vraie révélation, dès sa première sortie de neige au Brassus : « je n’étais plus seule dans mon cas. Quel soulagement ! Je pouvais enfin évoquer ma maladie avec d’autres enfants qui avaient le même vécu, le même ressenti, le même langage que moi. Un vrai bonheur, d’autant plus vif que tout le monde est très solidaire que ce soit entre parents ou entre enfants, quel que soit leur âge ».

« Pouvoir échanger et partager avec ses pairs est absolument fondamental, insiste Morgane. On jouait, par exemple, à qui avait la meilleure glycémie. Cela peut paraître futile et c’est pourtant essentiel, car c’est la seule et la plus efficace façon de dédramatiser son état. Pouvoir en rire, quel meilleur remède ! »

Une mère très investie
Morgane a également participé à des camps de la Fondation Diabète Soleil Enfants (FDSE), très précieux pour acquérir de l’autonomie dans la gestion de son diabète. Il faut dire que Martine, sa mère, s’est énormément investie dans l’accompagnement des enfants diabétiques, tout d’abord au GRPED où elle prend très vite des responsabilités et s’occupe de la publication annuelle, puis, sans lâcher pour autant le GRPED, à la FDSE dont elle assume actuellement la vice-présidence.

Quant à Antoine, le frère cadet de Morgane, il participe lui aussi activement aux camps organisés par le GRPED. Il n’est pas diabétique, mais la solidarité qu’il manifeste à l’égard de sa sœur est sans faille : « il ne m’est ainsi jamais venu à l’idée de manger devant ma sœur quelque chose qu’elle ne peut pas prendre ».

Portrait Desert Morgane
Vacances en Egypte, avec son frère Antoine

Une jeune fille épanouie
A l’âge de 12 ans, Morgane revient aux injections qu’elle manipule avec davantage de facilité, jusqu’à l’arrivée du capteur FreeStyle Libre sur le marché : « Une révolution », dit-elle. Par chance, son assurance-maladie prend en charge les frais ; d’autre part, elle supporte très bien le capteur qu’elle garde à son bras pendant les 14 jours conseillés.

« Pouvoir échanger et partager avec ses pairs est aussi précieux que fondamental »

Suivie par un diabétologue dans lequel elle a toute confiance, Morgane est aujourd’hui une jeune fille épanouie, entourée d’amis, filles et garçons, qui la respectent et l’entourent. Actuellement en 2e année de gymnase, à l’école de culture générale, elle se destine à devenir éducatrice spécialisée, après des études à la Haute Ecole Sociale. Son avenir apparaît donc tout tracé, même si Morgane entend d’abord vivre le présent, intensément.

Auteur: Pierre Meyer