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Regards croisés sur la maladie

Rares sont les rencontres entre personnes diabétiques de type 1 et de type 2. Pour des raisons liées à la différence d’âge principalement, mais aussi parce que la maladie ne frappe pas de la même manière celles et ceux qui doivent prendre immédiatement de l’insuline et celles et ceux qui y seront contraints, un jour peut-être. Esquisse de dialogue.

Rendez-vous a été pris dans les locaux de diabète Genève. Hermine Surber (88 ans), Viennoise d’origine, arrivée à Genève en 1955 où elle fréquente les milieux diplomatiques, a fait le trajet en voiture. Malgré son âge et des problèmes de santé à répétition, Hermine veut rester active, et surtout mobile. Son diabète remonte à 2003 ; elle est sous insuline depuis 2017. « A l’époque, je ne me suis même pas aperçue que j’avais le diabète, affirme-t-elle ; c’est un cousin médecin qui me suggère de consulter un diabétologue. Ce dernier diagnostique la maladie : un diabète de type 2. Mon impression est que le diabète s’est déclaré suite à l’absorption de fortes doses de cortisone en lien avec une hernie discale, car, aussi loin que je remonte dans ma famille, personne n’a jamais été diabétique ».

Un frein à la mobilité
« Au début, poursuit Hermine Surber, la maladie a radicalement changé ma vie. Devoir chaque jour prendre ma glycémie a été comme un coup de frein à ma mobilité, alors que j’adore voyager. Puis une certaine routine s’est installée, avant que je ne doive prendre régulièrement de l’insuline, ce qui a encore réduit ma mobilité. Mais l’expérience la plus douloureuse a été mes longs séjours à l’hôpital pour des problèmes cardiaques. La prise en charge de mon diabète par le personnel hospitalier (aux Hôpitaux Universitaires Genevois – HUG) a souvent été peu satisfaisante et j’ai été confrontée à de multiples hypoglycémies. Une infirmière en cardiologie m’a même déclaré, un jour, que mon diabète n’était pas son problème ! J’avoue que j’ai depuis l’hôpital en horreur, même si un séjour récent à l’Hôpital de la Tour, pour me faire poser une valve cardiaque, m’a quelque peu réconcilié avec le monde hospitalier ».

Diagnostic tardif
Camille Dubuis (25 ans) a fait le trajet en scooter depuis Bernex. Etudiante à l’Université de Lausanne, elle a entamé un deuxième master en psychologie de l’orientation, afin de compléter sa formation clinique. Son histoire médicale est, elle aussi, un peu chaotique : « mon diabète de type 1 a été diagnostiqué lorsque j’avais 16 ans. Mais je me plaignais depuis l’âge de 11-12 ans de gros coups de fatigues, plusieurs fois par mois, sans que mon pédiatre ne fasse le lien avec le diabète. Moi-même, dans mon coin, je m’étais rendu compte que, quand je prenais du sucre, ça allait mieux ! »

« Devoir, chaque jour, prendre ma glycémie a été comme un coup de frein à ma mobilité »

« Il a fallu que change de praticien à l’âge de 16 ans, qui est la limite pour la médecine pédiatrique, pour que mon nouveau médecin me fasse un test de glycémie à jeun. Le résultat a été immédiatement évident et j’ai tout de suite été mise sous insuline. Personne, auparavant, n’avait coché l’hypothèse diabète ».

Un soulagement de courte durée
« Dans un premier temps, de mettre un nom sur mon état a été un soulagement. Mais cela a été de courte durée, car je me suis rapidement rendu compte des contraintes que cela signifiait au quotidien. En outre, comme j’avais un peu plus de 16 ans, je n’ai pas pu bénéficier du programme mis en place par le service de pédiatrie des HUG pour les jeunes diabétiques ; je n’ai donc pas été hospitalisée comme eux. Ma mère et moi avons dû faire face seules et contacter, les unes après les autres, toutes les personnes susceptibles de nous conseiller. De plus, à l’âge de 16 ans, j’aspirais à davantage d’autonomie et je voulais tout faire seule, ce qui a parfois conduit à des tensions avec mes proches. Au collège, en revanche, l’accueil de mes camarades de classe a été très bienveillant, même si leur insatiable curiosité était parfois encombrante. Il faut dire que, dans mon établissement, j’étais la seule dans mon cas ».

Un nouveau monde
Hermine Surber suit avec attention le récit de la jeune femme. C’est n’est pas tous les jours qu’un diabétique de type 2 se trouve en présence d’un type 1. Une question lui brûle les lèvres :

- « Comment faites-vous pour vous piquer ? A force, on ne sait plus quel doigt choisir et, en plus, c’est vraiment douloureux… ».

- « Mais…, je ne me pique pas, répond Camille, quelque peu interloquée. J’ai un capteur Freestyle à mon bras qui me donne ma glycémie en continu ».

-« Freestyle ? », rebondit Hermine, qui ne comprend pas ce que cela signifie.

« L’accueil de mes camarades de classe a été très bienveillant, même si leur insatiable curiosité était parfois encombrante »

Patiemment, Camille lui explique le fonctionnement du système et comment, en fonction du taux de glycémie affiché sur le lecteur qu’elle a mis en contact avec son capteur, elle s’injecte la quantité d’insuline requise grâce à la pompe qu’elle a fixée sur le ventre. Le geste accompagne la parole. Hermine reste sans voix, puis elle ajoute : « je crois que je vais en parler à mon médecin traitant qui n’a jamais évoqué le sujet ».

Hermine Surber est d’autant plus intéressée qu’elle est sous anticoagulant (Sintrom) pour ses problèmes cardiaques et que, parfois, elle saigne plus que de raison. En revanche, elle a adopté son stylo-injecteur d’insuline : « L’aiguille no4 est si fine ».

« Gérer mes glycémies au quotidien est vraiment devenu une routine ; quant au diabète lui-même, il y a encore du travail à faire… »

Camille l’assure : « j’ai utilisé le Freestyle dès sa sortie sur le marché, et je ne pourrais plus m’en passer, même si j’aimerais bien essayer aussi le Dexcom, pour voir comment cela marche. Grâce aux appareils que j’utilise, gérer mes glycémies au quotidien est vraiment devenu une routine ; quant au diabète lui-même, il y a encore du travail à faire… ».

Juste équilibre
A la question de savoir si leur diabète constitue une entrave dans leur vie quotidienne, toutes les deux répondent plutôt par la négative. Pour Hermine Surber, toutefois, c’est l’addition du diabète et de ses problèmes cardiaques qui pose problème : « difficile, par exemple, d’avoir une bonne hygiène alimentaire alors que mon cardiologue insiste pour que je mange très peu de légumes pour ne pas contrarier l’action du Sintrom », regrette-elle. Et de s’interroger : « Comment, dans ces conditions, trouver le juste équilibre ? »

« C’est grâce aux contacts avec d’autres malades que j’ai le plus appris, que ce soit dans le domaine des technologies ou dans la connaissance de soi »

« Toutes ces contraintes font que je me replie sur moi-même, poursuit-elle alors que j’adore rencontrer du monde ; c’est pourquoi je suis désormais bien décidée à faire de la marche avec les membres de diabète Genève ».

La course à pied comme passion
Camille Dubuis, de son côté, croque la vie à pleines dents, notamment par la pratique du sport, de tous les sports, avec la conviction bien ancrée qu’« il s’agit d’adapter le traitement à l’activité envisagée et non l’inverse ». Elle ajoute : « seule la plongée semble, dans mon cas, contre-indiquée (même si j’ai appris qu’il existait des groupes de plongeurs diabétiques). Aujourd’hui, c’est la course à pied qui me plaît. Une vraie passion est née provoquée notamment par le formidable témoignage de Victoria Schmielewski dans le d-journal, suite à sa participation en 2019 au marathon de New York. Je m’entraîne désormais pour le semi-marathon de Genève en mai prochain, sous les conseils avisés de Cyril Hedbaut, coach sportif diabétique et spécialiste du triathlon ».

Camille et sa soeur jumelle (non diabétique) et lors de ses divers voyages
Camille et sa soeur jumelle (non diabétique) et lors de ses divers voyages

A travers cet engouement pour la course à pied, c’est aussi la volonté de Camille de rencontrer d’autres personnes diabétiques qui s’affiche. « Pendant quelques années, je suis restée seule avec mon diabète, relève-t-elle. Puis, la rencontre, par hasard, à l’université avec un autre diabétique qui avait repéré mon capteur Freestyle m’a peu à peu convaincu de l’importance et de la nécessité d’échanger avec d’autres malades. C’est grâce à ces contacts que j’ai le plus appris, que ce soit dans le domaine des technologies ou dans la connaissance de soi ».

« La « charge mentale » liée au diabète, qu’il soit de type 1 ou de type 2, est aussi lourde qu’omniprésente »

A l’évocation des relations que Camille a pu nouer, le regard d’Hermine s’assombrit : « mes amis ont presque tous disparus », se désole-t-elle, tout en se disant qu’elle pourrait être plus active comme membre de diabète Genève.

Des préjugés lourds à porter
Au chapitre des discriminations, Hermine Surber affirme n’en n’avoir pas connu, hormis le déni de son état en milieu hospitalier. La situation est beaucoup plus contrastée, s’agissant de Camille Dubuis. Elle s’étonne ainsi du fait que l’université exige d’elle un certificat médical pour les examens pour qu’elle soit autorisée à emporter avec elle une trousse contenant ses affaires de diabétique ou pour aller aux toilettes…

« Le plus difficile, précise Camille, c’est que la méconnaissance de la maladie dans la société et les préjugés qu’elle charrie sont en eux-mêmes une source importante de discrimination, que ce soit dans la vie sociale ou la vie professionnelle. Les nouvelles technologies, en dépit de l’aide précieuse qu’elles nous apportent, ont également leur face sombre, car la population, n’étant pas informée, nous observe parfois avec autant d’insistance que de suspicion. Même s’ils nous arrivent d’en rire en prétendant que le capteur est, par exemple, un patch de nicotine !! »

Charge mentale
S’il fallait tirer une leçon des témoignages de Hermine Surber et de Camille Dubuis, c’est que la « charge mentale » (terme utilisé par Camille) liée au diabète, qu’il soit de type 1 ou de type 2, est décidément aussi lourde qu’omniprésente. Même si, peu à peu, une routine bénéfique s’installe, la maladie est là, à toutes heures du jour et de la nuit. Une constance d’autant plus éprouvante que le regard social posé sur les personnes diabétiques est, en règle générale, dévalorisant, sinon tout simplement cruel.

Hermine Surber
Hermine Surber
Auteur: Pierre Meyer