Marcher jusqu’à Compostelle :le grand projet de Denis Grivel

Diabétique de type 2 depuis plus de 20 ans, Denis Grivel est un marcheur aussi solitaire qu’obstiné. Non content de parcourir tous les jours une vingtaine de kilomètres, dont 15 sur son lieu de travail, il nourrit depuis quelques années un rêve un peu fou : se rendre à pied à Saint-Jacques de Compostelle. Un périple de près de trois mois et 2 500 km, prévu au printemps 2022, à l’heure de sa retraite.

Denis Grivel me reçoit, à Porrentruy, dans sa charmante maison où les fleurs abondent, à l’intérieur comme à l’extérieur. « J’aime beaucoup jardiner et j’ai la chance d’avoir la main verte, me confie-t-il, en énumérant les plantes qu’il préfère : géranium, iris, glaïeul, rosier, orchidée… ».

Tout dans la vie de Denis Grivel et de son épouse respire la sérénité. En dépit de son diabète, heureusement stabilisé, et d’un cancer, il y a près de dix ans, dont il a réchappé sans suivre le moindre traitement chimiothérapique : « C’est pour cela que je vais partir à Saint-Jacques de Compostelle, car j’ai réussi à être plus fort que le crabe qui était en moi ».

Calme et détermination
Pas étonnant qu’il ait réagi avec calme et détermination le jour où il a appris, à l’âge de 40 ans, qu’il était diabétique. Il n’y avait, pourtant, aucun antécédent familial. Après une nuit de soif intense, il a immédiatement contacté son médecin traitant qui, suite à une prise de sang, lui a communiqué la mauvaise nouvelle. « Je n’ai pas été plus choqué que cela, se souvient Denis Grivel. J’avais des connaissances qui étaient diabétiques et qui n’en faisaient pas toute une affaire. J’ai, en quelque sorte, suivi leurs exemples. Au cours des 3-4 premières années, j’ai pourtant subi quelques hypoglycémies, puis ça s’est estompé. Depuis, mon diabète est stabilisé et je prends consciencieusement tous les jours mes médicaments. Cela fait maintenant 23 ans que je consulte le même médecin traitant et que je me rends deux fois par an chez la même diabétologue à Delémont. Le diabète vit avec moi et il ne m’empêche pas de bien vivre ».

Cette constance est évidemment rassurante. Mais il y a plus : en premier lieu, Denis Grivel est très entouré, par son épouse bien sûr, mais aussi par une large famille, car, de son premier mariage, il n’a pas moins de trois enfants qui lui ont donné sept petits-enfants et trois arrière-petits-enfants. Tous vivent en France. En deuxième lieu, son employeur et ses collègues ont toujours été compréhensifs, alors que son diabète s’est déclaré peu après son engagement dans l’entreprise horlogère de la place où il travaille toujours comme agent d’exploitation. « J’avais informé le collègue avec lequel je travaillais que je pouvais avoir une « hypo ». Et si c’était le cas, il fallait qu’il prenne dans ma poche le sucre de raisin que j’y avais mis. Il n’a jamais eu à le faire ! », se souvient avec un sourire Denis Grivel.

« Le diabète vit avec moi et il ne m’empêche pas de bien vivre »

Un environnement favorable et empathique est manifestement la clé d’une relation apaisée à la maladie. Mais Denis Grivel y a aussi mis du sien… en adoptant dès cette époque une hygiène de vie où l’activité physique a toute sa place. « N’allez pas croire que j’ai un comportement d’ascète ; je mange de tout, je ne fais attention à rien et je suis très gourmand, ce qui parfois inquiète mon épouse. Non, le vrai secret est que je me suis mis à marcher. En gros, une demi-heure par jour ; un peu plus le week-end. Il est vrai que mon boulot d’agent d’exploitation me fait bouger (jusqu’à 15 kilomètres par jour), mais la marche, nez au vent, m’apporte encore davantage, car elle me donne, à chaque sortie, l’occasion de me ressourcer, tout en contribuant à stabiliser ma glycémie à 7,5 mmol/l ».

Français d’origine
De nationalité française, Denis Grivel est arrivé à Porrentruy au début des années 90, la trentaine à peine entamée, attiré par les conditions de travail et de salaire en Suisse, alors que le chômage sévissait dans le Jura français. Il était alors mécanicien auto. Il n’aurait pas dû être très dépaysé puisqu’il était domicilié à Grandvillars, à une douzaine de kilomètres de Porrentruy, côté français. Pourtant, en dépit de cette proximité, l’acclimatation ne s’est pas faite sans peine. « J’avais tous mes amis en France, ainsi que mes frères et sœurs et mes trois enfants, explique-t-il. Il m’a fallu peu à peu recréer un cercle d’amis. Ceci dit, je ne regrette rien et c’est en Suisse que j’ai rencontré ma seconde épouse qui était employée dans une boulangerie-pâtisserie où j’ai moi-même travaillé peu après m’être établi à Porrentruy ».

« Non, le vrai secret est que je me suis mis à marcher. En gros, une demi-heure par jour. La marche contribue à stabiliser ma glycémie »

Après mis la main à la pâte, il trouve un emploi qui lui convient dans le domaine horloger, dans une grande société spécialisée dans les boitiers de montres. Denis Grivel y travaille à 100 % depuis 22 ans. Son métier d’agent d’exploitation lui plaît et l’entreprise n’est qu’à 200 mètres de son domicile : autre motif de satisfaction, puisque cela lui permet d’apprécier, chaque jour à midi, l’excellente cuisine de sa femme qui a travaillé 37 ans dans le secteur de la boulangerie.

Caissier au comité de l’AJD
Bien décidé à s’ouvrir davantage aux autres, Denis Grivel a rejoint, il y a quatre ans, le comité de l’Association jurassienne des diabétiques (AJD), dont il est le caissier depuis deux ans. « Je voulais faire partie de quelque chose, explique-t-il, et tout naturellement je me suis tourné vers une association s’occupant de personnes diabétiques. L’AJD se réunit tous les deux mois à Bassecourt et je m’y rends toujours avec plaisir. Notre principal défi est de trouver de nouveaux membres, car nous ne vivons que des cotisations et de la vente des appareils, sans l’ombre d’une subvention publique. Il faut donc être imaginatif et notre dernière initiative a été « La Nuit du Puzzle » qui remporte, depuis deux ans maintenant, un grand succès ».

Pour faire bonne mesure Denis Grivel soutient également l’association « Les Cartons du Cœur » qui vient en aide, dans la région de Porrentruy, aux personnes démunies qu’il s’agisse de chômeurs en fin de droit, de familles monoparentales dans le besoin, des victimes des petits crédits, de jeunes en quête d’un premier emploi ou de personnes âgées.

« Je voulais faire partie de quelque chose et tout naturellement je me suis tourné vers une association s’occupant de personnes diabétiques »

Pensez aux autres n’interdit pas de penser aussi à soi. Et hors les « petites bouffes » et les jeux de cartes avec des amis qu’il apprécie beaucoup, Denis Grivel vient d’acquérir une moto. Et pas une petite cylindrée, puisque sa machine fait 700 cc pour 80 chevaux. « Depuis mai, je fais des tours dans la région. Seul, parce que mon épouse refuse de monter sur cet engin. Pour l’instant, je suis très prudent. J’ai fait quelques balades jusqu’aux Rangiers et Delémont ».

Confiant en l’avenir
« L’avenir ne m’inquiète pas du tout », conclut Denis Grivel, malgré son diabète, dont le traitement est devenu une « routine ». Les nouvelles technologies l’intéressent peu : « je suis de l’ancienne école ; c’est pourquoi je ne me suis pas mis au capteur et que je reste fidèle à la lancette pour faire, tous les deux jours, mon contrôle de glycémie ». Un choix paradoxal alors qu’il n’aime pas du tout les piqures…

Auteur: Pierre Meyer