Tania Volery a atteint cet été le sommet du Cervin
Sportive accomplie, randonneuse dans l’âme et alpiniste à ses heures, Tania Volery a 46 ans et un diabète de type 1 depuis dix-huit ans. Sa maladie, elle en a fait une alliée, à tel point qu’elle n’a pas hésité une seconde à se lancer, en août, dans l’escalade du Cervin, par l’arête italienne, plus dure que la voie suisse du Hörnli ! Récit.
Bien avant que le diabète ne s’invite dans mon corps par un gros coma hyperglycémiant à 28 ans, en 1999, j’étais déjà très sportive. Le diabète fut certes un choc, mais quand j’ai compris que je pouvais continuer à manger du chocolat ( ! ) et à faire du sport, pour moi c’était réglé. Mieux valait se faire une amie de cette maladie, car, sinon, son côté sournois nous rappelle très vite à l’ordre…
Depuis ce jour fatidique, je fais par conséquent mon maximum pour l’accompagner (c’est-à-dire de nombreuses glycémies quotidiennes, une alimentation équilibrée et beaucoup de sport), mais parfois c’est aussi à elle de me suivre dans mes projets les plus fous : devenir maman deux fois, la course à pied (depuis l’âge de 16 ans je ne manque jamais mon défi printanier des 10 km de Lausanne !), cinq ans de kickboxing, un peu d’escalade, et deux fois la course Sierre-Zinal (en 2010 et 2013).
Le diabète ne m’a donc jamais freinée dans mes rêves et mes activités, il suffit juste d’oser… et surtout de procéder aux adaptations nécessaires.
La randonnée en montagne
Depuis un peu plus d’une dizaine d’années cependant, j’ai découvert une nouvelle activité sportive qui s’allie on ne peut mieux avec le diabète puisqu’il s’agit d’endurance sur une longue durée : c’est la randonnée en montagne.
En plus d’un groupe de marche avec lequel je me balade régulièrement de mai à septembre, j’ai fait pendant de nombreuses années la randonnée d’été en France, activité organisée par l’association française Randonnée et Diabète. Et oui, les Suisses y sont les bienvenus, et les non-diabétiques aussi d’ailleurs ! Cela m’a ainsi fait découvrir de magnifiques coins de montagne français.
« J’ai découvert une nouvelle activité sportive qui s’allie on ne peut mieux avec le diabète : la randonnée en montagne »
En 2015, cette fameuse randonnée n’a pas eu lieu ; il m’a donc fallu trouver autre chose. Je me suis alors lancée avec une amie sur le TMB (Tour du Mont-Blanc) sportif en liberté, pendant neuf jours ; nous avons marché avec un sac de douze kilos de refuge en refuge, tout en restant en altitude.
Bien sûr, il y a les hypoglycémies à gérer, mais la pompe à insuline permet de marcher quasi toute la journée avec seulement 10 à 30 % d’insuline ; j’utilise ainsi 1/3 d’insuline sur neuf jours. De plus, je me suis vite rendue compte que je recueillais, les six mois suivants, les bénéfices d’une telle dépense physique : j’avais en effet besoin de moins d’insuline après-coup, et j’avais une excellente hémoglobine glyquée ! Vérification faite mi-septembre : Tania a une hémoglobine glyquée de 6,6, alors qu’elle était de 6,9 en juin.
« La pompe à insuline permet de marcher quasi toute la journée avec seulement 10 à 30 % d’insuline »
L’été dernier, nous avions prévu cette fois de faire le Tour du Cervin, en neuf jours aussi.
Malheureusement, mon amie s’est faite une entorse deux semaines avant le départ, si bien que je me suis lancée seule dans cette nouvelle randonnée !
Le fait de marcher seule, avec pour seul compagnon le diabète, fut une révélation pour moi. Non seulement je me suis fait du bien physiquement, mais je me suis surtout vidé la tête, une forme de ressourcement d’être pour une fois… sans mari, sans enfants, sans amis, sans élèves (et oui, je suis prof)… Cela fait un bien fou !
Chamonix – Zermatt
Si bien que cet été, c’est délibérément seule que je me suis lancée du 10 au 21 juillet sur la Haute-Route Chamonix − Zermatt par les sentiers (pas par les glaciers), 200 km avec un sac de quinze kilos cette fois, 7 à 9 heures de marche par jour, avec au minimum 1’400 m de dénivelé positif, et entre 15 à 20 km par jour !
Ce fut fantastique, et cette aventure s’est terminée avec – cerise sur le gâteau – l’ascension du Cervin !
En effet, il y a une certaine logique dans ma démarche : après avoir tourné autour du Mont-Blanc, tourné autour du Cervin, relié Chamonix à Zermatt, il ne me restait plus qu’à gravir le Cervin ! Mais là on parle d’une altitude de 4’478m, c’est une autre paire de manches…
Malheureusement, quand je suis arrivée à Zermatt le 20, il y avait des orages prévus durant les jours suivants ; aussi le guide a préféré remettre l’ascension au 4-5 août.
Soit.
Seulement, entre-deux, j’avais prévu onze jours de vacances avec les enfants dans le sud de l’Italie au bord de la mer du 24 au 3 août !
Dame.
« Après avoir tourné autour du Mont-Blanc, tourné autour du Cervin, relié Chamonix à Zermatt, il ne me restait plus qu’à gravir le Cervin ! »
Si, vraiment, je devais faire ce Cervin à peine rentrée, je me devais de garder ma condition physique et de ne pas trop craquer pour… les pizzas, pâtes, glaces et autres pâtisseries italiennes.
Ouf. L’hôtel-club choisi proposait des buffets avec fruits et légumes frais ; il ne me fut ainsi pas difficile de faire un peu attention… De plus, il mettait à disposition toute une palette d’activités physiques comme des sessions d’aquagym dans la mer et la piscine, des cours de danse, du Pilates, le tout complété par cinq footings dans le sable au bord de la mer… J’étais sauvée !
L’ascension du Cervin
Bonne plage météo à mon retour : l’ascension du Cervin pouvait bel et bien se faire les 4 − 5 août.
Arrivée à 16h à la maison le 3, je repartais déjà à 6h du matin le 4 pour rejoindre Cervinia, sur le versant italien du Cervin. En effet, mon guide pensait que c’était plus intéressant et technique de grimper par l’arête du Lion que par l’arête du Hörnli, en Suisse. Il y a certes beaucoup moins de monde, mais c’est aussi deux fois plus difficile !!
« Ma grande force en montagne est que je ne souffre heureusement pas du tout du vertige ; vraiment aucune peur du vide, doublé d’un bon équilibre »
Passer en 24 heures de 39° à… la neige ! Me voici lancée dans cette nouvelle aventure.
Nous étions, ce jour-là, quatre clients (un Belge, un Roumain, un Italien et une Suissesse) et quatre guides (c’est un guide par client), j’étais donc la seule femme, qui plus est avec un « handicap ».
Là, j’ai vite compris que j’entrais réellement dans le monde de l’alpinisme pur…
En effet, l’ascension du Cervin de ce côté-là (on part de 2’800m d’altitude pour atteindre 4’478m), ce n’est QUE de l’escalade vertigineuse, des grosses cordes qui pendent et sur lesquelles il faut se tirer ; tout cela avec une dimension aérienne, sans cesse le vide de chaque côté, dans un monde de pierriers infini…
Interminable paroi
Ma grande force en montagne est que je ne souffre heureusement pas du tout du vertige ; vraiment aucune peur du vide, doublé d’un bon équilibre. Mais la force physique qu’il faut pour gravir les 1’000m et atteindre le refuge Carrel à 3’835m est inimaginable. J’avais beau être super prête physiquement, pleine de bonne volonté, je ne m’attendais pas à ça !
200 mètres sous la cabane, je me suis soudain retrouvée en état d’épuisement total, pendue au milieu d’une corde contre une paroi verticale où l’on ne peut pas poser les pieds… Et c’est à ce moment-là, en plus, que j’ai ressenti le palier (propre à chacun) d’altitude : des nausées et plus de force, ni dans les bras ni dans les jambes.
J’étais désespérée, je me voyais déjà abandonner, quand je me suis sentie subitement tractée, deux hommes aidaient mon guide à me hisser en haut de cette paroi !
Mais je n’étais pas très fière, le sommet m’est alors apparu inatteignable…
Et puis le miracle de la montagne a agi.
Après du repos à la cabane non gardiennée (notre groupe de huit avait cependant une cuisine et un dortoir à part), un bon plat de pâtes le soir, un peu de vin rouge, de bonnes discussions et de gros rires (le passage aux toilettes est une expérience en soi !!), et un somnifère, me voilà requinquée à 4h du matin quand le réveil sonne. Il paraîtrait même que je fus la seule des huit à avoir ronflé !! Qu’à cela ne tienne, au moins cela prouve que j’ai bien dormi.
Quelle récompense !
Les premières heures se grimpent à la lumière frontale, donc je me concentrais uniquement sur les deux mètres que je voyais devant moi, pas après pas, sans voir le vide et le reste à gravir… A un rythme lent (on est à plus de 4’000m), j’ai passé toutes les autres cordes sans problèmes, et avec mon guide (dont c’était la 33e ascension !), nous sommes arrivés les premiers des quatre cordées à 8h30 au sommet italien du Cervin !
«J’avais juste oublié de mettre mon appareil à glycémie au chaud, si bien qu’il ne fonctionnait plus… Ma foi, il a fallu continuer « au radar », comme on dit… »
Quelle récompense, quelle beauté que ce ciel immaculé avec un beau soleil à peine levé sur les cimes environnantes ! Que du bonheur.
J’avais juste oublié de mettre mon appareil à glycémie au chaud, si bien qu’il ne fonctionnait plus… Ma foi, il a fallu continuer « au radar », comme on dit…
La descente fut très longue et éprouvante, bien plus dangereuse que la montée puisque chaque pierre peut vous faire basculer ; heureusement qu’il y eut les nombreux rappels !
Peu avant de retrouver la cabane, je me suis à nouveau sentie mal. A ce moment-là, j’ai enfin pu contrôler ma glycémie : j’étais à 21,7 mm !! Ben oui, un peu d’adrénaline je pense, plus le cathéter que je devais changer, pas de miracle…
Mon guide, dont c’était le premier client diabétique, me dit paniqué : « Pas de problème, j’appelle l’hélicoptère ! » Je lui ai dit qu’il suffisait simplement de changer le cathéter, ce que j’ai dû cependant faire en pleine montagne dans un terrain hostile !
Quarante-cinq minutes plus tard j’étais au refuge à 6,3 mm ; tout allait bien.
Les dernières heures dans ces cailloux qui n’en finissaient pas furent infernales ; enfin à 15h30 nous étions en bas.
Fatiguée, mais heureuse, j’avais fini mes vacances en apothéose, avec, en plus, le sentiment d’avoir porté le diabète très haut.
Un vrai tempérament
C’est sur les conseils d’Annick Vallotton de diabètevaud que Tania Volery a accepté de faire le récit de son ascension du Cervin. « Je n’ai jamais eu de problèmes à parler de mon diabète, explique-t-elle ; c’est pourquoi j’ai tout de suite adhéré à l’Association vaudoise des diabétiques dès le diagnostic posé. Très rapidement, j’ai rejoint le groupe des jeunes mamans où les échanges sont aussi ouverts qu’utiles ; la plupart d’entre elles sont devenues des amies ».
Le diabète à bras-le-corps
Mère de deux garçons de neuf ans et demi et douze ans et demi, enseignante d’allemand au Gymnase d’Yverdon à 80 %, un mari aux CFF, Tania est du genre dynamique et volubile, avec un rire oh combien communicatif. Un vrai tempérament, dirait-on, qui s’est traduit dans sa manière de prendre immédiatement son diabète à bras-le-corps : « J’ai tout de suite été insulino-dépendante lorsque, à plus 28 ans, j’ai appris que j’avais un diabète de type 1. Au début, j’ai utilisé un stylo, puis j’ai passé à la pompe à insuline car je souhaitais entamer une grossesse ».
Malgré son rapport en apparence léger à la maladie, elle ne cache pas que sa gestion au quotidien lui pèse parfois : « Il m’a fallu un an pour me faire à la pompe. De plus, j’ai horreur des piqûres et, aujourd’hui, le changement de mon cathéter reste un moment de stress, même si, avec les nouveaux appareils, c’est presque indolore. Mais on ne s’habitue pas », concède-t-elle.
Autant Tania peut paraître téméraire dans son rapport à la montagne, autant elle est circonspecte à l’égard des nouvelles technologies proposées aux diabétiques : « Je suis plutôt de l’ancienne école, notamment pour noter mes glycémies que je reporte toujours à la main sur une feuille de papier. Le patch sur le bras m’aurait bien séduite, mais je les trouve tout à fait inesthétiques ; de plus, ma peau ne supporte pas les colles et autres produits adhésifs. En revanche, je reconnais que la pompe à insuline est très adaptée à la pratique sportive : elle permet de gérer l’effort instantanément ; on n’est plus contraint d’anticiper : un vrai progrès ».
De son aventure au Cervin, Tania ne veut retenir que ce bonheur total d’être arrivée au bout de son rêve. Et, il est à parier que d’autres sommets la font déjà vibrer. Seul petit bémol dans cette affaire : le fait que son guide, qui accompagnait pour la première fois un diabétique, n’ait jamais reçu la moindre information sur la maladie. Or, elle n’est pas la seule diabétique à pratiquer la rando ou l’alpinisme. Peut-être serait-il judicieux que les guides de montagne suivent une petite formation sur la maladie afin de pouvoir réagir efficacement en cas de problèmes.
P.M.